Samedi 2 Juillet 2011
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Rien n’avait bien commencé, pour elle. Au Cameroun, en lui donnant naissance, sa maman a perdu la vie. Son père, elle ne l’a jamais connu. L’orphelinat, jusqu’à ses 4 ans. Là-bas, elle deviendra inséparable d’un petit Mickaël. Et puis, première embellie : une dame, qui avait déjà adopté trois autres enfants, deux du Bénin et une jeune Coréenne, et qui était donc très bien vue des services sociaux français, l’a faite venir dans l’hexagone, à côté de Nantes. Et, connaissant la situation, elle accueille aussi Mickaël. Aujourd’hui, Adeline Gadras, 32 ans, qui vient de briller à Auteuil, approche les 50 victoires en obstacle. Itinéraire…

Ce 23 juin, vous avez conduit La Courtille au succès, dans le temple de l’obstacle, brisant un écart de… 138. Impressions ?

Le 18, j’y avais terminé deuxième avec Taratata Sivola, et troisième d’une listed Race avecHammersly Lake. Mais j’avoue que j’y avais un peu oublié l’euphorie du poteau passé en tête. A Auteuil, cela faisait exactement deux ans et onze mois que cela ne m’était pas arrivé… On oublie tout, dans ces moments-là.

Rien ne vous prédestinait à devenir jockey, si ?

Non. Ma mère adoptive, Madeleine Gadras, que j’appellerai simplement ma mère, ou Maman, était professeur de lettres. Je devais avoir une quinzaine d’années quand elle a dû déménager à Pau. Elle m’a alors offert un stage dans un « poney-club ». J’adorais déjà les animaux, mais là, ce fut le coup de foudre…

Mais encore ?

Je ne savais pas trop vers quoi m’orienter, j’ai voulu découvrir les chevaux de course, et je suis entrée à l’AFASEC. Je trouvais les randonnées un peu monotones, je désirais goûter à autre chose. J’ai eu Denis Etchebest pour maître d’apprentissage. Il était à la tête d’une petite structure, avec un effectif d’une vingtaine de pensionnaires, seulement, mais il m’a fait adorer le métier. Il adorait ses animaux, m’expliquait plein de trucs. J’ai débuté pour lui, en plat, cinquième, mais ma deuxième sortie dans la spécialité ne m’avait pas plu. Denis m’a fait découvrir l’obstacle, et là, ça a été la révélation…

Avez-vous gagné, sur les « balais », pour lui ?

Oui, mais après que je l’aie quitté, sur ses conseils. Il n’avait que peu de sauteurs, il m’a encouragé à aller assister aux courses d’Auteuil, à faire le tour des pistes à pied, à tout regarder, et à contacter Jean-Paul Gallorini.

Ce que vous avez fait ?

Oui, et Auteuil m’a emballée, mais, en voulant rencontrer Jean-Paul Gallorini, je suis « tombée » sur Marie-Laurence Oget, entraîneur installée en Bretagne. Elle m’a proposé de la rejoindre, j’ai accepté, et je n’ai pas regretté. Elle me mettait en selle partout, je me suis imposée pour la première fois à Angoulême, elle m’a permis de débuter à Auteuil, avec Ierbasa de Kerpaul. D’excellents souvenirs.

Mais vous n’êtes pas restée ?

Au bout de deux ans, j’avais besoin de voir ailleurs, Paris m’attirait. Cette fois, je suis entrée au service de Jean-Paul Gallorini, qui avait formé de grandes cavalières, comme Béatrice Marie ou Anne-Sophie Madelaine, avant moi.

Votre contrat n’a pas duré longtemps…

4 mois. Tous les matins, nous étions 20, à cheval, dont 16 « gosses » qui voulaient tâter de la compétition. Tout le monde se tirait dans les pattes, ils avaient tous le couteau entre les dents. Ce genre de climat ne m’a pas convenu. Direction, l’écurie d’Isabelle Pacaut.

Là-bas ?

Bien. J’ai remporté une bonne course PMU au Lion-d’Angers, avec Jet Royal. J’étais là depuis une année. Mais Jet a été engagé, hors PMU, à Landivisiau, et, à ma grande surprise, Isabelle avait fait appel à un jockey extérieur. Si c’était le pilote « maison », Samuel Massinot, qui lui avait été associé, je n’aurais rien dit, cela aurait été normal. Mais, là, je n’ai pas apprécié, et, avec mon fichu caractère et ma grande gueule, je suis partie.

Où ça ?

Chez Thierry Civel, toujours à Maisons-Laffitte. J’y suis restée deux ans et demi. Il m'a vraiment lancée dans le "bain", j’ai enregistré mon premier coup de deux, à Cagnes-sur-Mer, pour lui, et pour le même propriétaire, M. Leylavergne. C’était avec Dauphin des Carrés et Kibouli, ma jument de cœur, qui m’a offert 5 ou 6 victoires. Durant le même meeting, je devais être la partenaire deDauphin des Carrés, dans le Grand Steeple-Chase de Cagnes, mais, dix jours avant, je me suis cassé la clavicule. Thierry a fait appel à Sébastien Beaumard et… il n’y a pas eu photo ! C’est la vie…

Depuis ?

Encore des changements. Je suis repassée 2 ans par la « case » Isabelle Pacaut, avec encore des réussites un peu partout, puis j’ai travaillé pour Marie-Laetitia Mortier. C’est bien, d’apprendre à droite et à gauche.

Vous avez perdu votre décharge depuis un moment, non ?

Oui. Mais, vous savez, une femme, dans ce métier, qui, de plus, n’a plus de décharge, on ne l’appelle pas beaucoup. Je me désolais devant mon téléphone qui ne sonnait jamais.

Vous vous en sortiez, financièrement ?

Oui. Je montais une bonne centaine de fois par an, je prenais des places, tout de même, et, avec le petit salaire du matin, disons que j’arrivais à « survivre » pas trop désagréablement.

Vous venez de rejoindre le staff de Thomas Trapenard…

Un mois et trois semaines, oui. Et j’ai été surprise de la confiance qu’il m’a immédiatement accordée. Et il m’assoit sur de bons chevaux… C’est un plaisir. Je le remercie, comme tous ceux, ou celles, qui m’ont donné ma chance.

Avez-vous gardé contact avec Madeleine ?

Bien sûr, et avec toute la famille, car, en tout, nous sommes huit frères et sœurs. Les trois petits derniers, français, eux, sont trisomiques. Ma mère est une sainte… Un petit article m’a été consacré sur le site de RTL, la semaine passée, je leur ai envoyé… Ils étaient tous presque plus heureux que moi…

N’avez-vous pas souffert d’être orpheline ?

Non. On ne peut regretter des gens que l’on n’a pas connus. Ma mère a toujours été formidable.

Célibataire ?

Oui. Et cela me va très bien, pour l’instant.

D’autres passions ?

J’étais très sportive, auparavant. Mais le travail et son rythme ne me le permettent plus. J’adore… les restaurants, où je retrouve des amis !

Les restaurants ne sont-ils pas l’ennemi des jockeys ?

Pour les grands gabarits, oui, mais moi, je suis petite et trapue, et je n’ai pas de mal à faire le poids de base, en obstacle, tout du moins. Mais, comme il n’y a que l’obstacle qui m’intéresse…

A 32 ans, vous envisagez de calmer le jeu ?

Surtout pas. Ma nouvelle écurie me plaît énormément, tant que je peux, tant que mon corps me le permettra, je serai au départ. Maintenant, si, un jour, je ressens de la peur, j’arrêterai. Mais je ne pense pas que ce sera demain !