Mercredi 11 Janvier 2012
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Il lui aura fallu attendre ses 32 ans pour signer son premier quinté, lui qui n’en avait disputé que cinq, pour deux places… Cerise sur la bûche de Noël, ce même 28 décembre 2011, à Cagnes-sur-Mer, il a réalisé un coup de trois, encore inédit pour lui. Et, comme il y a pris goût, il a réédité l’exploit, dimanche 8 janvier, toujours sur l’hippodrome de la Côte d’Azur. A tel point qu’avec 9 succès, à la veille de la dernière réunion d’obstacle du meeting azuréen, il compte 3 points d’avance sur son suivant immédiat, et devrait donc être sacré « roi » de ce traditionnel rendez-vous hivernal. Mais Johnny Charron n’en est pas arrivé là par hasard…

Interrogé par Equidia, après cette victoire dans le quinté, vous avez assuré : « Si je faisais partie des plus fines cravaches, cela se saurait ! »…

C’est tout à fait exact. Il ne faut surtout pas se prendre pour un autre. Je montais le meilleur, et, cette fois, je n’ai pas « perdu » la course. Et, tout le monde le sait, quand la forme est là, tout s’enchaîne bien. Comme pour compenser les périodes où tout va mal.

D’où venez-vous ?

De la région d’Angers.

Pourquoi « jockey » ?

Mon père, qui n’est plus là, aujourd’hui, avait toujours rêvé de devenir jockey mais il a dû travailler, dès ses 14 ans, et il est parti en usine, pour une grande marque de chaussures, là où ma mère a également gagné sa vie. Il n’empêche qu’il aimait toujours les courses, que nous enregistrions tous les « tiercés », à la télévision, que je me souviens très bien du Grand Steeple-Chase d’Ubu III qui, malheureusement, était tombé, foudroyé, peu après avoir franchi le poteau en vainqueur, et d’Ourasi, qui me fascinait. Mes parents m’avaient d’ailleurs offert un livre sur Ourasi. J’ai ensuite suivi sa sœur,Vourasie, je n’ai pas oublié les battues rasantes de Queen L

On n’apprend pas à monter dans les livres…

C’est vrai. Mon père m’a acheté une ponette… Je la sortais dans la rue et un monsieur, qui habitait en face chez nous, m’a vu régulièrement « dans mes œuvres » et m’a recommandé les courses de poneys.

Des résultats ?

J’en ai gagné un paquet. J’affrontais Jacques Ricou, Ronan Thomas et autres Sébastien Leloup… Une excellente école, et Olivier Peslier, pour ne citer que lui, ne vous dira pas le contraire. Malgré tout, ces épreuves avaient un peu tendance à tomber en désuétude mais, heureusement, André Pommier, ancien excellent pilote devenu professeur à l’AFASEC, est en train de les relancer. Il a notamment des contacts en Angleterre, pour créer une sorte de partenariat, ce serait bon pour les « gosses ».

Après les poneys ?

L’école ne m’intéressait pas beaucoup. J’avais redoublé deux fois la 5ème. J’étais un véritable petit « branleur », toujours fourré… dehors ! Nous étions pratiquement voisins de Cyriaque Diard. A l’époque, il était au plus bas. Il n’avait que 6 boxes, faisait du débourrage de toutes sortes de chevaux, pour assurer le quotidien. Je m’y rendais durant toutes les vacances scolaires, pour des stages, et je me souviens que, malgré ses difficultés, au bout de deux semaines, il me gratifiait d’un « gros » billet de 200 francs, pour les services rendus. Quand l’un de ses pensionnaires terminait quatrième à Nuillé-sur-Vicoing, c’était comme s’il avait remporté le Prix de l’Arc de Triomphe ! Je ne garde que des bons souvenirs. Un homme droit, hyper-correct, au véritable esprit de famille. Et je me réjouis, aujourd’hui, de sa belle réussite. Là, j’avais vraiment pris goût, et je suis entré à l’école AFASEC de Laval.

Avec Cyriaque pour maître d’apprentissage ?

Non. Il n’en avait pas les moyens. J’ai été envoyé chez Etienne Leenders, où je suis resté 4 ans, avec le préapprentissage, le CAP et le BTA à la clef. Il gérait 120 chevaux, et réalisait un score de 120 à 130, par an.

Vous a-t-il mis rapidement en selle ?

Non. J’étais nul. Pour ma dernière saison, en 1999, il m’a cependant fait débuter. Et, surtout, il m’a conseillé de me rendre en région parisienne, où j’ai été accueilli par Guy Chérel, qui n’avait pas encore la « cavalerie » dont il s’occupe à l’heure actuelle. Il avait davantage de temps pour former les jeunes recrues. Je ne sortais pas du lot… Un matin, il m’a « chopé » dans son bureau et il m’a dit : « Tu veux monter ? Je te donne un mois… Si tu ne fais pas tes preuves, tu dégages… ».

Rude, non ?

Oui, mais franc. Je n’aime pas « les violons », les « peut-être que », les « oui, mais si… ».

Alors ?

Il m’a assis sur Guitar Kash. 16 sorties ensemble, et 15 fois « dans l’argent ». Mais, surtout, chez lui, j’ai pu approcher et parfois faire sauter, « derrière le mur » de Maisons-Laffitte, des champions comme Homme du JourHarmonie Trésor ou Fou du Roy. Et Pascal Marsac, qui était le premier jockey de la maison, a été adorable, avec moi, me donnant de précieux conseils, style : « Tiens tes rênes, ton collier, rallonge… ». Il avait une patience d’ange avec moi, qui étais tombé à 6 reprises, durant les 15 jours suivant mon arrivée… J’ai beaucoup appris, avec toute cette équipe, un an et demi durant.

Ensuite ?

J’ai un côté « voyageur », pour ne pas dire « vagabond ». Je suis parti chez Thierry Civel, pour qui j’ai enregistré mon premier lauréat « PMU », puis chez Yannick Fouin, avec de la réussite au bout du boulot… Mais j’avais un peu la nostalgie de ma région.

Vous avez fait vos valises ?

Oui, direction l’écurie de Serge Foucher. Comment les sauteurs étaient « mis » ! Il avait d’ailleurs sous sa responsabilité un certain Kauto Star, qui est toujours un phénomène, outre Manche… Chez lui, les ordres étaient simples : « Tu vas devant, et tu ne t’occupes de rien ! »  Là encore, ça a bien marché, pendant un an.

Mais la « bougeotte » ?

Oui. Retour chez Etienne Leenders. Deux ans « standard » va-t-on dire. Je pense être minutieux, j’aime bien les chevaux qui sont habitués, de par leur entraînement, à venir « dans la bonne » sur l’obstacle… Bref, je n’étais pas très à l’aise, j’avoue que je me cherchais un peu.

Du coup ?

Philippe Peltier m’a embauché. J’avais 26 ans, 60 victoires à mon palmarès et j’avais sans doute besoin d’être remis en question. Ce qu’il a fait. Il est « dur », direct, et ne tourne pas autour du pot. Et je l’en remercie encore. Quand je suis arrivé chez lui, on le considérait comme un entraîneur « de province », aujourd’hui, il fait partie des meilleurs « parisiens », et il ne le doit qu’à lui. Dans son établissement, quand on termine la « matinée » à 14 ou 14 heures 30, on sait pourquoi on a été là, on a le sentiment de s’être rendu utile. Il m’est arrivé, ailleurs, de mettre pied à terre, à la même heure, en me demandant ce que j’avais foutu durant tout ce temps… Les 6 premiers mois, chez lui, où j’ai un peu retrouvé la méthode « Chérel », mais avec des différences, j’ai gagné 10 fois, 21 la deuxième année, 22 la troisième et dernière. Là-bas, du lad au premier garçon, tout le monde monte comme un jockey, véritablement.

Encore parti ?

Oui. Pour faire court, Adrien Lacombe, ancien élève de Guillaume Macaire, où j’ai appris à monter sans collier, Laurent Viel, où je ne me suis pas entendu avec le personnel, et, désormais, Serge Foucher, de nouveau…

Vous étiez cependant associé à la plupart des représentants de Laurent Viel, durant ce meeting cagnois…

Oui. On s'était contacté avant, il n’y a aucun souci entre nous.

L’après Cagnes ?

Je vous l’ai dit, il y a Serge Foucher, mais aussi Christophe Dubourg, qui s’est installé il y a peu, Alain Couétil, moi qui habite à Pouancé, et d’autres… Cela dit, se faire une « clientèle », en province, n’est pas facile. Il faut faire très attention, et ne pas toujours accepter « n’importe quoi ». J’ai vu des « mômes » se ruer à l’assaut d’un cross très difficile en selle sur des animaux qui savaient à peine franchir les « trois bidons » qui avaient pourtant suffi à enthousiasmer leurs « permis d’entraîner »…

Avez-vous connu des « pépins » ?

Bien sûr, comme nous tous.  Des arrêts plus ou moins longs, trois mois, un mois et demi. D’ailleurs, à ce sujet, je voudrais souffler une idée au journal Paris-Turf : plutôt que d’indiquer, au jour le jour, les anniversaires de tel ou tel, ce dont tout le monde se fout un peu, il serait préférable, à mon sens, de préciser les dates de reprise des cavaliers accidentés. Dans mon cas, une année, après une interruption assez longue, sur pied en début février, j’ai dû attendre la mi-mars avant qu’on ne se rende compte que j’étais disponible…

Des bons souvenirs ?

Toutes les victoires sont belles, et représentent des récompenses, quelque part. Une me revient à l’esprit : je rentrais d’une mise sur la touche d’un mois et demi. C’était à Segré. Mon partenaire,Prowler, était troisième, à 700 mètres du but. Là, j’ai fait une bêtise, nous avons failli tomber, je me suis raccroché à la tête et… j’ai débridé Prowler. Sur le coup, je me suis dit : « ne touche à rien, avec un peu de pot, tu vas rester troisième… ». Mais ça n’allait pas, le cheval était gêné. J’ai alors pris la décision de tout enlever et… nous avons gagné ! Récemment, Rocket Man, dans le quinté, m’a comblé… J’ai bien aimé, aussi, le Grand Steeple d’Angers, mon pays, donc mon Grand Steeple-chase de Paris à moi. C’était avec Nashka. Xavier Hondier devait lui être associé, mais il n’a pu remplir son engagement. La veille, le midi, l’entraîneur me téléphone. OK. Nous ne détenions pas une première chance. Dès le début, les consignes étant de « laisser aller », j’ai pris un obstacle d’avance. Et nous sommes allés au bout…

Vous vous en êtes construit  d’autres, cet hiver, non ?

Si. Evidemment. Et, même si Papa nous a quittés, toute ma famille est derrière moi. Ils m’appellent, sont heureux de me voir en selle à quatre reprises dans l’après-midi, me félicitent, ensuite, quand je ne me suis pas mal débrouillé… Chaud au cœur.

Je vous sens au bord des larmes…

Pardon, je suis plutôt émotif, et tout cela a été très fort…

Le poids ?

Déjà, chez Guy Chérel, j’avais du mal à peser 63 kilos. Je mesure 1 mètre 78. 65, c’est très faisable. Je mange très peu le matin, jamais le midi, mais, le soir, je ne veux pas me coucher avec la faim et la soif. Tout le monde me dit que je devrais faire le contraire, mais je fonctionne bien ainsi. A ce sujet, j’admire Jonathan Plouganou, qui est dans le même cas que moi, qui ne vit que pour les courses, qui est super sérieux et se met de véritables « branlées » dans le sauna…

Célibataire ?

Moi qui étais un « coureur de jupons », je le concède, je suis devenu très sérieux depuis que j’ai rencontré Roxane, qui travaille chez… Laurent Viel. Le bonheur.

Des loisirs ?

Tout ce qui est… intéressant ! Le cinéma, entre autres, je m’initie à la pêche avec David Berra, j’adore le sport, et je cours tous les deux jours. C’est bon à tous les niveaux, et ça t’aide à encaisser les coups.

Tout à l’heure, vous évoquiez des pur-sang et des trotteurs…

Les champions sont des champions, hommes comme animaux… La musculature, l’entraînement, l’effort, la sueur, les voir tous se donner à fond, c’est ça, le grand spectacle du sport. Et pas de clivages, trot, plat, obstacle… Nous autres, jockeys, avons le privilège de connaître cette sensation que personne ne peut ressentir : passer le poteau en tête.

Une question que je ne vous aurais pas posée ?

Non. Mais je rejoins Alexandre Roussel, un exemple, pour moi, dans sa dernière intervention, lors d’une interview, sur ce même site : sans les lads-jockeys, et je spécifie bien « lads » puis « jockeys », ce ne serait pas pareil. Il faut savoir curer les boxes,  préparer les chevaux, le matin, pour les pilotes, vedettes ou non, en compétition, te dévouer à ta cause, à tes causes... Moi, je vis ce métier à 100%. Si je ne suis pas sur le champ de course, devant la télé, je me lève de mon canapé pour pousser mes potes Berra, Fouassier, ou celui qui aura eu la bonne initiative… Pour tout vous dire, mon cheval de cœur, c’est Kendo du Montceau, chez Philippe Peltier. Je veillais sur lui et le préparais le matin. Il était très spécial, et, même en prenant de l’âge, il est resté très difficile. Chacun de ses résultats m’a fait vibrer… et je ne lui ai jamais été associé en course.