Mardi 5 Juin 2012
bertrand-thelier

Lundi 4 juin, à Auteuil, pour son « patron », Guy Chérel, il a mené Mazuelo au succès, dans un steeple-chase, alors que le 6 mai, il était tombé, avec le même Mazuelo. Ce 6 mai, il avait également ajouté une nouvelle listed Race à son palmarès, avec Protektion, dans le Prix Saint-Sauveur. Entre ces deux dates, un pneumothorax, qui aurait même dû lui valoir 15 jours d’arrêt de travail supplémentaires. Mais, lui qui fêtera ses 39 ans le 14 juillet, n’est pas du genre à appuyer sur le frein, encore moins à « s’écouter ». Sa passion est restée intacte, pas tout à fait comme son corps, qui a souffert de partout. Bertrand Thélier explique tout, simplement…

Pourquoi, jockey ?

Mon grand-père, Gérard Thélier, l’avait été, avant de devenir Commissaire au Croisé-Laroche. Mon père, lui, n’a jamais rien eu à voir avec le milieu, mais il adorait les chevaux, et toute la famille aussi. Nous habitions dans le Nord, nous avions un peu de terrain. Il y a eu un poney, puis un cheval. Tout gosse, j’ai été conquis, j’ai même tâté du concours hippique, à un niveau « amateur ». Mon grand-père a « bien vu venir le coup » et il m’a inscrit au Moulin-à-Vent, l’école AFASEC de Gouvieux.

Vous le regrettez ?

Surtout pas !

Qui vous a pris sous son aile ?

Alain de Royer Dupré a été mon maître d’apprentissage, durant un an. Mais je n’arrêtais pas de grandir et de prendre du poids. Il m’a alors envoyé chez René Cherruau, pour me tourner vers l’obstacle…

Aviez-vous débuté en compétition ?

Non. J’avais eu une idée « des couleurs » dans une course école, mais rien d’officiel.

Chez René ?

J’ai tout appris. Un homme de cheval hors du commun. Il avait gardé une antenne dans le Maine-et-Loire mais était installé à Maisons-Laffitte. Je suis resté chez lui six ou sept ans… Jusqu’à, en fait, qu’il connaisse des problèmes personnels. J’avais trois gagnants, en obstacle, bien sûr, sur ma carte de visite.

Quelle destination, alors ?

La Suisse. Je m’y rendais déjà régulièrement, les week-ends. A l’époque, beaucoup de cavaliers français en faisaient autant, car c’était très rentable. Je suis entré au service de Yorg Landmeyer qui, au départ, était un gentleman-rider. J’y suis resté un peu plus d’un an.

Pourquoi être revenu en France ?

Parce que… j’y enregistrais trop de victoires !

Comment cela ?

Je ne voulais pas perdre ma décharge là-bas. Il ne me manquait plus beaucoup de « points » pour devenir « pro », et je suis arrivé chez Thierry Civel. C’était sa période faste, il gérait trois cours, s’occupait de plus de 100 pensionnaires, dont Belussac et d’autres excellents éléments. En deux mois, j’ai décroché mon « carton » et, pour l’anecdote, je me souviens que c’était dans un quinté, avecElectrum, qui avait « payé » 78… francs, gagnant. Thierry m’a ensuite vraiment lancé dans le grand bain. Je garde beaucoup de bons souvenirs, comme, entre autres, une quatrième place dans le Grand Steeple-Chase de Paris. Notre collaboration a duré 7 ou 8 ans.

Ensuite ?

Bernard Secly, pour qui je me rendais souvent le matin, m’a embauché. Il commençait à avoir un effectif plus réduit et, de toute façon, cela ne « collait » pas trop, entre nous. Six mois plus tard, Guy Chérel m’accueillait. Et j’y suis toujours.

Combien de victoires, à ce jour ?

J’avoue que je n’en tiens pas un compte précis. Je dois approcher des 200…

Certaines plus belles que d’autres ?

Oui. Lors de mon premier quinté, j’étais gosse, sur un nuage, je ne réalisais même pas. Alors je dirais mon Prix du Président de la République, en 2009, avec Objectif Spécial, et mes trois autres Groupes, comme le Duc d’Anjou ou la Grande Course de Haies d’Enghien. Mais j’ai eu une pouliche de cœur,Sway, avec laquelle j’ai tout gagné sauf le Prix Bournosienne, où je suis tombé à la « der »…

A propos de chutes, récemment, il y a eu Mazuelo

Oui. A la « der », là encore. Il n’est pas évident à utiliser.

Ce lundi, ne deviez-vous pas être toujours en « arrêt de travail » ?

Si. Les spécialistes m’avaient prescrit un mois et demi. Mais je leur ai dit que ce n’était pas possible. Et puis, quoi, ce n’était pas grand-chose !

Un pneumothorax ?

Oui. On m’a glissé un tuyau entre les côtes, pour retirer l’air qui s’était glissé dans la cavité pleurale, le poumon s’étant décollé de la plèvre. Mais c’est rien du tout…

Il est vrai que vous avez connu d’autres « pépins », pour ne pas dire accidents…

J’ai connu quelques années noires, effectivement, où j’ai passé de longs moments loin de ma selle.

Vous avez une sacrée force de caractère…

Dans quel sens (rires) ?

Dans le bon…

J’ai toujours pris le taureau par les cornes. Dans ce métier, il ne faut surtout pas baisser les bras. Tu as mal sur le coup… Le lendemain, ou le surlendemain, si tu en veux, tu as oublié.

D’où vient cette motivation ?

De mon caractère, à la base, sans doute, mais ce sont les bons chevaux, qui me motivent, qui continuent de me donner envie. D’être encore à la pointe du combat. Et ça, sans lui envoyer de fleurs, je le dois à Guy, qui me fait confiance.

Avez-vous pensé à la sortie ?

Bien sûr, vaguement. Mais tant que tout roule, comme actuellement, je ne vois pas pourquoi je rangerai mes bottes. J’ai la forme, j’aime ce que je fais, je me sens bien au sein de mon écurie… Evidemment, si l’on ne me confiait plus que des sauteurs à arrêter dans un coin avant la catastrophe, je saurais dire « stop ».

Et alors ?

Nous avons, avec ma compagne, acheté une maison en Normandie, avec des herbages. Vous voyez ce que je veux dire. Il y aura sans doute des chevaux dans les prés. Mais, je le répète, nous n’en sommes pas là.

Votre compagne, justement, qui est-elle ?

Daniela Mele. Elle a été cavalière, avec de bons résultats… Elle a monté à Auteuil, gagné à Enghien, réalisé un coup de deux, et même été Championne d’un tournoi réservé aux femmes.

Où l’avez-vous rencontrée ?

A Pau, où j’étais allé pour le regretté Jean Dasque. Nous sommes ensemble depuis 15 ans. Elle a ensuite travaillé chez Thierry Civel et, depuis 10 ans, chez Guy Chérel, où elle est désormais « premier garçon ». En fait, elle est ma « chef » !

A la maison aussi ?

Non (rires). Dès que j’ai franchi les marches du perron, c’est moi le directeur (re-rires). Nous avons déjà une petite Camille, 4 ans, qui « baigne à fond » dans les chevaux, et un « petit gars » va arriver, à la fin du mois…

Vous avez une belle carrière…

J’en suis, sinon fier, tout au moins content.

Mais n’avez-vous pas l’impression, sans nuance péjorative, d’être un peu un « second couteau » ?

Non seulement je ne prends pas ombrage de ce que vous me dîtes mais, de plus, cela me satisfait pleinement. Je n’en demande pas plus. Ce qui m’importe, ce n’est pas d’être le premier, mais de durer. Par ailleurs, je m’entends très bien avec Cyrille Gombeau, il a ses « montes », j’ai les miennes.

Des courses qui vous font rêver ?

Le Grand Steeple de Paris, comme tous mes confrères… Mais, le Grand Steeple de Suisse, j’aimerais bien l’épingler aussi. J’ai toujours fini à l’arrivée, sans parvenir à l’emporter. Cette année, devancé « tête », « encolure », je regrette de ne pas avoir été « élu » une deuxième fois « Président ».

Des modèles ?

Je n’en ai plus (rires) ! Je n’ai jamais copié personne mais, même aujourd’hui, je prends plaisir à regarder comment font des « anciens », comme Christophe Pieux, bien sûr, ou Cyrille. Chez les « jeunes », David Cottin m’épate. Il en veut, lui. Jonathan Plouganou aussi, et pourtant, les deux ont des problèmes de poids.

Comme vous ?

Toute ma vie, je me suis battu contre la balance. Je courais, au début, mais j’en ai eu marre. Le sauna, pas manger à ma faim les veilles de réunions, et je peux m’asseoir à 64,5 ou 65 kilos.

Quels dérivatifs ?

J’aime passer du bon temps avec mes amis. Les trucs simples, en fait.

Sinon ?

Tout ce qui est puissant et mécanique, même si je ne suis pas un fou du volant. J’ai un 4X4, un « quad », dont je me sers en Normandie et, l’hiver, à Pau, pour me promener.

Quand Cyrille m’a dit, après votre succès avec Mazuelo, que le cheval s’était montré courageux, pour résister jusqu’au bout, alors qu’il était pourtant très délicat, j’ai ajouté : « le pilote aussi est courageux… » Cyrille a levé les yeux au ciel, en soufflant : « Oh, oui ! »

Ben… Si Cyrille l’a dit (rires) !