Jeudi 27 Septembre 2012
Thomas Gillet

Le 13 septembre, en selle sut Tiger Lann, à Auteuil, il a brisé un écart de 84 dans les épreuves dites « premium ». Le 16, à Châlons-en-Champagne, il menait Trésor Bleu à la victoire, tout en ayant ajouté deux troisièmes places, l’une à Strasbourg et l’autre à Nancy, à son jeune palmarès. Il n’a que 22 ans, mais c’est pourtant sur le tard qu’il a rejoint l’école AFASEC du Moulin-à-Vent, à Gouvieux, lui qui venait de la banlieue nancéenne, et même… de bien plus loin. Thomas Gillet se confie.

D’où venez-vous ?

Je suis né en Thaïlande, mais je ne garde aucun souvenir de mon pays d’origine. Orphelin, j’ai été adopté, tout bébé, par mes « parents », qui habitent près de Nancy.

Que font-ils ?

Ils travaillent dans l’industrie.

Vous étiez fils unique, à la maison ?

Non. J’ai deux frères, les propres enfants de mes parents, avec qui tout s’est toujours très bien passé.

Pourquoi, les chevaux ?

L’école, ce n’était pas trop mon truc. J’adorais les animaux, et les chevaux en particulier, car j’avais pu les découvrir, un peu, dans des cercles hippiques. Je m’étais donc orienté vers un BEPA (NDR : brevet d’aptitude professionnelle agricole), et j’ai rencontre un éleveur de la région, Maurice Jonnette. Vu mon gabarit, et mes aspirations, il m’a conseillé de me tourner vers un métier de jockey, ou tout au moins de cavalier, et m’a poussé à entrer au Moulin-à-Vent. Ce que j’ai fait…

Mais, si vous prépariez un BEPA, vous deviez avoir plus de 14 ans…

Effectivement, j’en avais 17 quand j’ai poussé la porte de l’établissement.

Réaction des autres élèves, vos cadets ?

Aucune. Je n’étais pas le seul dans le cas et, de toute façon, à de rares exceptions près, nous étions tous des néophytes, et personne n’était plus « avancé » que l’un ou l’autre. Tous dans le même bateau. Pas trop dur, ce sentiment « d’isolement », avec la famille à plus de 400 kilomètres ? Le premier mois, ce fut un peu rude, j’étais assez inquiet, mais je me suis vite adapté, et je savais ce que je voulais. Parallèlement, j’ai obtenu mon BAC.

Et au niveau de la « mise à cheval » ?

Ca m’a tout de suite passionné, et mon maître d’apprentissage, Ronald Caget, installé à Chantilly, m’a rapidement appris à tout faire. C’était bien. Comme son effectif était essentiellement destiné à l’obstacle, j’ai vite eu l’occasion de faire sauter les chevaux, le matin, et ça m’a immédiatement beaucoup plu. Cette discipline m’a davantage tenté que le plat.

Des problèmes de poids, déjà ?

Non. Aucun. Actuellement, je pèse 55 kilos, sans aucun régime ni même faire attention. Quand je monte en plat – ce qui m’arrive encore très rarement – je n’ai aucune difficulté à perdre quelques livres, s’il le faut.

Ronald vous a-t-il fait débuter en compétition ?

Oui, dès qu’il m’en a senti capable. C’est pour lui que j’ai enregistré mon premier gagnant, en haies, et mon deuxième, cette fois en steeple, avec la même Nutellas. Je n’oublierai jamais cette jument.

Combien de temps, chez Ronald ?

Deux ans, en tant qu’apprenti, puis un an, comme salarié. Ensuite, ses affaires se sont compliquées.

Alors ?

Je suis parti à Maisons-Laffitte, chez Guy Chérel. Là, j’ai découvert une grosse écurie, d’autres méthodes… J’y suis resté un an, jusqu’à fin février 2012.

Pourquoi avoir quitté cette infrastructure très performante ?

Vu l’importance de son effectif, il y a forcément beaucoup de monde à pied d’œuvre, et beaucoup de jeunes. Je ne me mettais en selle, en course, que trop rarement, à mon goût, même si je sais bien que je ne suis pas une vedette et que chacun pense qu’il ne monte jamais assez. Du coup, ayant appris que Thierry Civel cherchait un apprenti, j’ai rejoint son équipe, en mars.

Vos « scores », aujourd’hui ?

Je dois compter 300 participations, dont une centaine cette année, ce qui va donc en augmentant, 15 succès et beaucoup de places. Et… une trentaine de chutes !

Des « pépins » ?

Des traumatismes crâniens, des bonnes « gamelles », mais je ne me suis jamais rien cassé. Cela dit, je ne rêve pas : comme tous les autres, je ne passerai pas au travers.

N’est-ce pas frustrant, lorsqu’il y a des réunions à Auteuil où à Enghien, de rester à la maison devant la télévision ou de regarder les « petits copains » depuis les tribunes ?

On les envie un peu, bien sûr, mais frustrant est un mot trop fort. En obstacle, il faut savoir être patient. Et, à part quelques-uns, les « stars », nous n’avons pas d’agent. Il faut attendre que l’entraîneur lui-même fasse appel à vous. C’est donc à vous de vous faire remarquer sur la piste.

Mais, pour se faire remarquer, il faut avoir le cheval « pour »…

Vrai que je ne m’assois pas souvent sur des « premières chances », mais c’est logique. J’ai tout à prouver. Il faut gagner la confiance des professionnels, dans des « réclamers » avant qu’un jour, peut-être, ils ne vous alignent au départ d’une listed Race ou d’un Groupe. Je ne veux surtout pas brûler les étapes.

Votre ambition ?

Durer. Le plus longtemps possible. Cyrille Gombeau en est un superbe exemple… Vous voyez, j’ai encore un peu de temps pour me hisser à son niveau. Et, à plus court terme, lorsque je serai assez « mûr », entrer au service d’une grosse « cavalerie » qui me donnera ma chance.

D’autres modèles ?

Jonathan Plouganou et David Cottin. Ils sont très grands, par la taille – et par le talent aussi, d’ailleurs – mais j’apprécie tout particulièrement leurs façons de faire, et même leurs positions.

Quand on en arrive à 84 d’écart, que pense-t-on ?

On trouve le temps long, bien entendu… J’avais gagné, en province, durant cette période, mais pas de « premium », et pris nombre de places de deuxième ou troisième. Mais franchir le poteau en tête à Auteuil, cela soulage…

On doute ?

Pas vraiment. Sauf si l’on ressent l’impression d’avoir fait n’importe quoi et d’avoir perdu la course, mais, généralement, je ne suis pas associé à un lauréat en puissance.

Et financièrement, ce ne doit pas être facile ?

C’est pourquoi je n’hésite pas à me rendre en province. Dans l’Est, notamment, j’ai beaucoup de « clients », dont des Allemands, qui font appel à moi. Mais, entre l’entraînement, le matin, et l’après-midi, sur les hippodromes, je ne vais pas me plaindre. Je ne m’en sors pas mal.

Vous vivez seul ?

Oui. J’ai une relation, mais, pour l’instant, je m’occupe de tout, tout seul. Cela ne m’effraie pas, je suis assez « débrouillard ».

Vous faîtes la cuisine ?

Oui. Cela ne me dérange pas, au contraire.

« Thaïe » ?

(rires) Non, je ne sais pas ! Je suis allé quelquefois dans des restaurants thaïlandais, j’ai aimé, mais j’aime aussi la gastronomie française.

Un petit « restau » de temps à autre, donc…

Oui. Je suis un bon « mangeur » et je prends plaisir à m’attabler avec des amis. Pas trop souvent, toutefois. Quant aux « virées » avec les copains, elles sont exceptionnelles. Le « sérieux » est un impératif, pour moi, dans cette profession.

Etes-vous retourné en Thaïlande ?

Non, jamais. Mais c’est l’un de mes projets, d’autant que tous les gens qui en reviennent me disent qu’ils ont été séduits, par les paysages, par la population…

Sportif ?

Je jouais au football, assez sérieusement, mais j’ai arrêté depuis que je suis arrivé à Maisons-Laffitte. Je me laisse tenter, toutefois, par un petit match, le mardi soir, avec Fanck Panicucci et quelques autres…

Des passions ?

Passions, ce n’est pas le terme exact. Pour me « vider » la tête, je vais à Paris. Je me promène, me paye une « toile », fais un tour dans les magasins. De plus, j’ai de la famille, dans la capitale. Et puis, avec le RER, c’est facile…

Vous n’avez pas de voiture ?

Non. Justement, je suis en train de passer le permis de conduire.

Comment faîtes-vous, alors ?

Quand je dois me rendre en province, c’est souvent le train. En région parisienne, ce n’est pas difficile, à Maisons-Laffitte, de trouver un collègue pour vous emmener. Mais j’avoue que ce sera plus pratique quand j’aurai mon auto.

Vos parents s’intéressent-ils à votre carrière ?

De très près. Mais, ils ne suivent plus les retransmissions en direct : la dernière fois qu’ils m’ont regardé, je suis tombé, direction « hôpital ». Ils étaient fous d’anxiété. Alors, ils me téléphonent en fin de réunion, consultent les résultats sur Internet… En fait, ils sont plus stressés… que moi !