Mardi 23 Octobre 2012
Gregory Benoist

A 29 ans – «on prend de l’âge… » souligne-t-il lui-même en riant – il réalise la plus belle saison de sa carrière. Il ne se passe pas une réunion sans qu’il ne gagne au moins une course – il approche des 600 succès – , il se met à collectionner les listed Races, les Groupe III (le Prix de Condé, dernier en date, le 21 octobre), sans parler des quintés qu’il truste avec beaucoup plus que de l'application (55 victoires, 53 deuxièmes, 46 troisièmes, 54 quatrièmes et 51 cinquièmes places en 825 participations !), et il a signé son premier Groupe II, le Qatar Prix Chaudenay, la veille du Prix de l’Arc de Triomphe 2012, avec Canticum, pour David Smaga. Grégory Benoist se souvient et s’auto-analyse…

N’êtes-vous pas belge ?

Si. D’à côté de Bruxelles. Mais j’aurais aussi bien pu naître français…

Comment cela ?

Mon père, Patrick, est français. Jockey, il a fait son apprentissage à Maisons-Laffitte, mais ça n’a pas trop collé… Il a alors décidé de « s’expatrier » en Belgique, où il a rencontré ma mère… Vous avez compris.

Vous vous êtes rapidement retrouvé à cheval, alors ?

Non. Disons que j’accompagnais mon père, tous les week-ends, à l’écurie et aux courses. Mais je n’ai que très peu monté. Un peu, à la promenade, après les galops d’entraînement, et, vers 12 ans, j’ai eu un poney. Là, j’ai commencé à y prendre vraiment plaisir. Mais j’avais aussi une autre passion.

Laquelle ?

Le foot. J’avais d’ailleurs été remarqué par des « sélectionneurs » qui m’encourageaient à entrer dans ce que l’on pourrait appeler le « Moulin-à-Vent du foot », une bonne école belge.

Vous n’avez pas suivi leurs conseils ?

J’ai été très tenté, bien sûr. Mais j’étais plutôt petit. J’ai passé des radiographies de mon dos et de mes mains, et, d’après les clichés, les médecins spécialisés ont été formels : je ne dépasserai jamais 1,60 mètre. A une ou deux exceptions près, il n’y a que très peu de joueurs professionnels de cette taille qui s’en sortent. J’ai donc opté pour les courses. D’ailleurs, les hommes de l’art ne s’étaient pas trompés : je toise 1,57 mètre.

Il y a aussi un certain Christophe Soumillon, qui nous vient de Belgique…

Oui. Nous nous retrouvions souvent, dans les établissements ou sur les hippodromes. Mais la comparaison s’arrête là : il va très vite, lui, et il ne peut pas y avoir deux « Zidane » la même année…

Vous avez effectué votre apprentissage au « plat pays » ?

Non, au Moulin-à-Vent, l’école AFASEC de Gouvieux. Avec Jean-Marc Capitte pour maître d’apprentissage.

Un entraîneur… belge. Le fait du hasard ?

Non. Il connaissait mon père, il avait décidé de s’installer en France, à Chantilly, où il est arrivé en mai. Pour moi, les cours commençaient en septembre. On avait pu se « débrouiller ».

Vous ne travaillez plus pour lui…

Non. Je suis resté 4 ans à son service, jusqu’à temps qu’il choisisse de changer d’horizons et de « descendre » à Marseille. Mais cela n’enlève rien à tout ce que je lui dois. Il m’a beaucoup aidé, dans tous les domaines, comme un deuxième père, et il a su me donner les coups de pieds dans le cul que je méritais, pour me faire avancer.

Non ?

Si, et je l’en remercie encore. Je n’étais vraiment pas facile. L’année d’avant son départ pour le Sud, j’avais terminé en tête du Championnat de France des Jockeys – qui est devenu la Casaq Ligue -, je venais de perdre ma décharge… J’aimais faire la fête, je gagnais bien ma vie, j’en faisais profiter les amis, et je dépensais beaucoup… Couché tard, j’avais du mal à me lever, je « dérobais » beaucoup… A 20 ans, on nous demande d’en avoir 30, dans la tête, moi, je n’ai pas honte de dire que j’en avais 15… La jeunesse, on se croit arrivé alors qu’on n’a même pas « démarré »… Mais je ne regrette rien, toutes ces bêtises ont servi à me faire évoluer, à prendre conscience de la réalité des choses.

Après la séparation « involontaire » d’avec Jean-Marc ?

Dans mon euphorie, je ne m’attendais pas à un si gros passage à vide, je ne me doutais pas que j’allais avoir à « galérer » pendant trois ans. Je me retrouvais seul, sans « coach ». Jean-Vincent Toux, Xavier Nakkachdji, Nicolas Branchu – qui n’exerce plus – m’ont tendu la main… « Des « petits », comme on les appelait, à l’époque, qui m’ont permis de manger. J’étais donc content quand même… Les réunions n’étaient pas aussi décentralisées qu’aujourd’hui, le « challenge » ne m’excitait pas plus que cela… Et puis, je crois avoir pris de la maturité, ai pris conscience que les « petits génies », qui pensent que leur « main » suffira, sans avoir à trop bosser, se prennent les pieds dans le tapis… Je me suis fait une « clientèle » qui m’a permis de rester « vivant » et de réaliser qu’en étant soigneux, travailleur, respectueux, toujours impeccable et poli, on « avançait »…

Les adjectifs que vous venez d’employer me font penser à Christophe Lemaire, par exemple…

Tout à fait. Mais aussi à Thierry Jarnet, mon aîné, que j’admire. Quelle carrière ! Quelle longévité, et quelle maestria, toujours… Bien sûr, pour gagner le Prix de l’Arc de Triomphe, comme lui, à deux reprises, ou décrocher 4 Cravaches d’Or, être au service d’André Fabre aide beaucoup. Mais je retourne l’affirmation : on ne « tombe » pas dans l’écurie du Maître par chance…

Quel regard portez-vous sur vous-même ?

Sans aucune arrogance, je crois que mon passé, mes erreurs assimilées et corrigées, m’ont permis d’éclore, après des années de travail, sans prendre de vacances, d’où une disponibilité que je vois récompensée, aujourd’hui.

Une victoire plus belle que les autres, comme le récent Groupe II ?

Non. Ce Groupe ne change pas ma vie. Je retiens davantage les grands chevaux que les grandes victoires. Les plus beaux succès, ce sont ceux que tu « voles », avec de « petits » chevaux, dans de « petites » courses, comme à Pau, quand il fait – 15°, que tu es à 40/1, et que tu inventes un truc, te faufiles dans un trou de souris… Là, en passant le poteau, tu as le droit de te prendre, pendant quelques secondes fantastiques, pour un magicien… Perdre en route tes adversaires, quand tu es assis sur Frankel, même si c’est extraordinaire et quel samedi avons-nous vécu !, est, paradoxalement, moins difficile. Il ne faut jamais oublier, dans notre métier, que l’animal fait l’homme.

Votre actualité ?

Que tout continue ! L’an passé, j’avais un contrat de deuxième monte, derrière Christophe-Patrice Lemaire, pour Gérard Augustin-Normand, un propriétaire que j’apprécie particulièrement, et, depuis le 1er juillet, je revêts la casaque blanche en priorité… C’est valorisant. Comme, sincèrement, j’aime la personne, je ne pouvais rêver mieux.

Le foot ?

Je suis toujours fana. J’adore, je joue, je regarde les matches, et, quand mon agenda me le permet, j’emmène mon fils, Mattéo, bientôt 8 ans, au stade… Un grand bonheur.

Marié ?

Non. Nous ne nous sommes plus entendus, avec la mère de Mattéo. Mais je suis très heureux avec ma compagne, Claudia.

Du milieu hippique ?

Pas du tout. Elle est esthéticienne mais, excellente cuisinière – je fais attention ! – elle rêve d’ouvrir une boutique de « traiteur ». Mais je vous rassure, elle comprend bien les contraintes de ma profession, même si elle n’est pas attirée par le monde des courses, mais cela ne l’empêche pas de vivre avec. Quand on aime, d’un côté comme de l’autre, il faut savoir faire des concessions.

A part le foot ?

J’aime aussi sortir à Paris, manger un bout avec des copains « extérieurs » à notre quotidien, aller au cinéma, au théâtre, visiter des expos ou des musées… Je m’intéresse à plein de trucs, j’ai besoin de m’ouvrir à d’autres choses, de couper les ponts… De me sortir de notre milieu... pour continuer à l’aimer. Nous vivons « courses », voyons « courses », réfléchissons « courses », 6 jours sur 7, quand ce n’est pas 7 sur 7. Quand je me suis bien vidé la tête, un soir, je ne prends que plus de plaisir, le lendemain tôt le matin, sur les pistes des Aigles.

Vous parliez « d’éclosion »… Je dirais « explosion » !