Mardi 28 Septembre 2010
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Il a 48 ans. Il a encore gagné, ce lundi 27 septembre à Nancy. Son palmarès international est incroyable : « Derby » et « Jockey-Club » turcs, six « Derby » autrichiens, cinq suisses, pays où il a décroché 15 Cravaches d’Or, sept  « Jockey-Club », douze « Saint-Léger »… En 1991, il a remporté 21 Groupes à l’étranger, avec 5 chevaux appartenant au même propriétaire, Peter Baumgartner. En France, il a remporté le Prix Exbury et d’autres épreuves de haut niveau. Près de 1.500 victoires. Mais il n’a rien changé à sa façon d’être. Pourtant, il n’a jamais vraiment été sous les feux des projecteurs. Jean-Michel Breux se livre…

Le commencement de l’histoire ?

Nous habitions Mayenne, en… Mayenne. Avec des chevaux tout autour, des trotteurs, surtout. L’animal me fascinait. Et mon parrain, un frère de ma mère, qui voulait devenir jockey, mais qui avait dû y renoncer, car sa famille n’avait pas les moyens de « l’entretenir », s’est sans doute un peu projeté sur moi et n’avait qu’une envie : que je puisse faire ce qu’il n’avait pas pu.

Des parents de la partie ?

Pas du tout. Mon père était imprimeur. Pour l’anecdote, il éditait « Courses et Elevage », que j’ignorais, mais dont j’ai dévoré tous les numéros, par la suite. Ma mère, elle, s’occupait de ses six enfants. J’ai perdu, très jeune, l’un de mes petits frères mais, pour moi, nous sommes toujours six.

Courses de poneys, comme Olivier Peslier et autres ?

Non plus. La seule fois où j’étais monté sur un cheval, je devais avoir 12 ou 13 ans, j’ai reçu une ruade en plein visage. 48 heures de coma.

Cela ne vous a pas dégoûté ?

Non. Je me suis renseigné, et, comme mes parents n’étaient pas tout à fait d’accord, j’ai rempli moi-même les papiers pour faire un stage au Moulin-à-Vent, l’école AFASEC de Gouvieux. Réponse favorable obtenue, je suis parti…

Sans l’autorisation parentale ?

Je pensais que nous allions passer un concours, et qu’il y aurait un classement. Je leur ai demandé que, si je terminais premier, ils me laissent continuer. En fait, il n’y avait aucune hiérarchie établie, une fois le stage effectué, mais, j’avais vraiment bien bossé, et j’ai obtenu des mentions très flatteuses. Cela dit, je pesais 38 kilos, pour 1 mètre 41, j’étais très sportif et, étant alors en « seconde », mon niveau scolaire était plus que satisfaisant. Mais je n’envisageais pas encore de devenir jockey, je voulais juste travailler auprès des chevaux. Je ne regardais même pas le tiercé, à la télévision. Du coup, « papa maman » ont bien été obligés d’accepter, même si c'était difficile, financièrement, pour eux. Quand je suis monté dans le train, tout le monde pleurait…

Pourquoi jockey, alors ?

Un jour, l’AFASEC nous a emmenés sur l’hippodrome de Chantilly. Nous étions postés près du poteau d’arrivée, c’était un 1.200 mètres ligne droite, et quand j’ai vu le peloton arriver, à pleine vitesse, j’ai été ébahi. Là, j’ai commencé à changer d’optique…

La suite ?

J’ai eu la chance que Bernard Secly soit mon maître d’apprentissage. Il m’a tout appris. Je lui dois tout. C’est un homme exceptionnel. Mon deuxième père. Outre, au début, les rudiments du métier, il m’a inculqué tout ce que chacun doit savoir. Des leçons de vie qui vont bien au-delà des courses. Pour lui, et grâce à lui, j’ai obtenu deux Etriers d’Or, et le Trophée international des apprentis, en 1983, en Allemagne.

Vous êtes pourtant parti ailleurs…

Bernard Secly, qui m’emmenait partout avec lui, même, parfois, en vacances, a connu des problèmes. Il allait perdre plusieurs gros propriétaires, il se voyait dans l’obligation de réduire son effectif, et il a tenu à me trouver une autre bonne « place ». J’ai travaillé pour Elie Lellouche, avec mon premier Groupe, associé New Target, à la clef, puis André Fabre, pendant 4 ans, Jean de Roualle, 4 ans aussi, et Nicolas Clément, 17 ans durant… A chaque fois, j’ai encore appris… Mais, séparé de Bernard, j’ai réfléchi. A l’époque, j’affrontais les Yves Saint-Martin, Freddy Head, Alfred Gibert ou mon idole, Alain Lequeux. Sincèrement, je ne me sentais pas la même pointure qu’eux, et je me suis dit qu’il valait mieux être premier à l’étranger que sixième en France… Je n’ai jamais voulu casser des montagnes, ayant toujours préféré la sécurité. Mon expérience allemande m’avait donné le goût des voyages, alors, j’ai poursuivi. Le samedi, j’étais en Autriche, le dimanche, en Suisse. A l’époque, cela améliorait sensiblement l’ordinaire. Je gagnais autant d’argent qu’un « pilote «  parisien. Mais, avec la crise, les allocations qui ne sont plus à la hauteur, je ne me rends plus en Suisse, sauf exception, depuis 4 ans.

Des kilomètres en voiture, non ?

J’en parcourais au moins 60.000 par an, mais, maintenant, avec le TGV, qui met Chantilly à 3 heures de Nancy ou Strasbourg, les avions, tous les amis qui viennent me chercher à la gare ou l’aéroport, c’est beaucoup plus facile…

Vous êtes désormais au service de John Hammond…

Depuis mai. Tout allait bien, avec Nicolas, mais, je ne sais pourquoi, j’ai eu l’impression que notre route commune se terminait. Je suis fidèle, à tous les niveaux, et je ne pars jamais sur un coup de tête, et reste toujours en bons termes. Chez John, j’ai encore découvert autre chose. C’est un incompris. Parfois décrié. Il ne travaille pas comme tout le monde, mais il sait ce qu’il fait. Le courant est passé tout de suite, avec lui. Il me confie de bons chevaux. Je pense que je peux ajouter un nouveau Groupe à mon palmarès, pour lui. Il est très « british » et n’accorde que peu d’importance à l’âge. J’ai bataillé avec les Kinane, Swinburn, Starskey et même Piggott, le top des cavaliers, même à l’âge où d’aucuns ont pris leur retraite…

La vôtre ?

Je suis en pleine forme. Je n’ai jamais eu besoin d’observer un régime pour faire le poids. Désormais, je m’amuse, dans le bon sens de l’expression. J’ai les mêmes « clients » depuis 20 ans, pour certains. Ce lundi, à Nancy, j’aurais pu avoir cinq montes. J’en ai sélectionné deux. Terminer douzième ne m’intéresse plus. On pensera à tout cela plus tard, d’autant qu’en dehors de mes deux fils, Stéphane et David, qui sont tous deux jockeys, j’ai une petite Gloria, 10 ans… Au-delà du rôle de jockey, c’est le cheval, qui me passionne. Cavalier d’entraînement, communiquer au « mentor » les défauts et les qualités que l’on a détectés chez tel ou tel poulain… Travailler en osmose pour les résultats de l’écurie.

Et vos fils, justement ?

Ils m’ont offert le plus beau cadeau de ma vie. A Strasbourg, nous avons formé le trio à nous seuls…Stéphane a gagné, j’ai fini deuxième et David, le plus jeune, troisième… Quand on voit la photo finish, avec « Breux, Breux, Breux » inscrit sur les breeches, on croit que le cliché est truqué… J’essaye toutefois de bien les élever, de leur faire comprendre qu’il n’y a que la passion, la droiture, la ponctualité et la confiance que vous inspirez pour réussir, dans cette profession comme dans d’autres.

Des « violons d’Ingres » ?

Le jardinage. Les fleurs, le gazon, je tiens à ce que tout soit parfait, comme la piscine, les terrasses… Je suis maniaque. La pêche aussi, mais je n’ai plus guère le temps.

Les amis ?

J’aime tout le monde, mais je ne fréquente personne. A la maison, une fois résumées, en quelques mots, les courses de chacun, nous ne parlons plus du tout « cheval ». J’admire les femmes de jockey, comme la mienne, qui nous attendent tout le temps, qui, parfois, n’entendent que des commentaires de ce qui s’est passé l’après-midi ou ce qui devrait arriver le lendemain. Mais, de temps à autre, j’aime m’entourer de gens extérieurs à notre microcosme, histoire d’apprendre, encore, sur d’autres sujets. Je suis casanier, je me sens bien chez moi, avec les miens. Pour moi, cet équilibre est une force.

En résumé ?

J’ai eu une belle carrière. J’ai une belle famille, une belle maison. Que puis-je demander de plus ? Et j’emploierai une formule de Bernard Secly, pour ce métier qui est si dur, avec ses hauts et ses bas : « On perd parfois, mais on regagne toujours… » Et, je vous assure, quand j’arrive le matin, à l’entraînement, que je retrouve tous ces cavaliers et cavalières, sans qui les courses n’existeraient pas, et que je vois « mes chevaux », à qui je dois tout, j’oublie tous les soucis.