Mardi 5 Octobre 2010
fabien-lefebvre

La semaine dernière, à Craon, il a réalisé un coup de deux. Déjà 31 succès en 2010, le cap des 130 passé, lui qui a fêté le 100ème en Tunisie, dans un Groupe I réservé à des chevaux arabes… Ses réponses fusent, les mots sont fluides, ses analyses étonnamment précises, ses autocritiques sans fausse modestie. On croirait entendre Yves Saint-Marin, ou Freddy Head. Pourtant, Fabien Lefebvre n’a que 22 ans…

Pourquoi avoir voulu devenir jockey ?

Déjà, nous habitions Craon, et, là-bas, il est difficile d’échapper au cheval. Ensuite, mon père, Nicolas, qui a désormais un permis d’entraîner, avait des poneys, pour la balade. Puis, quand j’avais 10 ou 11 ans, des poneys de course. Je me suis adonné à ce genre de compétition pendant 5 petites saisons. Autant je n’avais pas mordu au concours hippique, autant les courses de poneys m’ont tout de suite séduit. La Fédération mettait en place des réunions de 8 épreuves, dont 4 de plat, une de trot, et 3 d’obstacles. Dans l’année, il y avait même 2 ou 3 « cross ». J’ai ainsi pu goûter à toutes les disciplines.

Combien de gagnants ?

114. Du coup, comme la Fédération organisait, pour les meilleurs, des stages d’une semaine à l’école AFASEC du Moulin-à-Vent, à Gouvieux, j’ai pu en suivre un et avoir, ainsi, un avant goût de ce qui m’attendait. J’y suis entré à 15 ans et demi.

Trop tard ?

Non, j’ai fini ma classe de troisième, à Craon, puis, tout en étant à l’AFASEC, pour un BEP, j’ai voulu obtenir un bac « pro », section « élevage »…

Pourquoi ?

Une carrière de jockeys dure jusqu’à 35, 40, voire 50 ans, et j’avais, et j’ai toujours, des projets de reconversion, quand le moment sera venu.

Qui, pour maître d’apprentissage ?

Henri-Alex Pantall, près de Nantes, car les dirigeants de l’école ont vu que son établissement n’était qu’à 80 kilomètres de chez mes parents. Parallèlement, dans le cadre de mon bac pro, j’ai suivi un stage de deux ans, au Haras du Mézeray, où j’ai rencontré des gens très intéressants. Dans les salles de cours, aussi. Ceux qui sont là ont d’autres ambitions, même les profs s’adressent à vous autrement que lors des sessions de BEP. Vous vous nourrissez gentiment la tête.

Vous étiez donc sur trois « fronts » différents…

Oui. A Gouvieux, à Nantes, et au haras du Mézeray…

Comment faisiez-vous ?

Je venais d’obtenir mon permis de conduire. La première année, j’ai parcouru plus de 100.000 kilomètres en voiture, sans parler des trajets en van ou en train. Mais j’étais ravi, j’ai vu beaucoup d’hippodromes, j’ai beaucoup voyagé… Et il faut savoir ce que l’on veut.

Et ce bac ?

Malheureusement, avec cet emploi du temps un peu surchargé, c’était difficile et je l’ai raté d’un cheveu. 9,48 de moyenne…

Combien de temps êtes-vous resté chez Henri-Alex Pantall ?

Trois ans et demi. J’ai enregistré une bonne cinquantaine de victoires, durant cette période. Mais je voulais m’installer à Chantilly.

Pourquoi ?

Pour plusieurs raisons. D’abord, chez Henri-Alex Pantall, il y avait Goulven Toupel et Mathieu Androuin, sans parler de Johan Victoire qui « descendait » de temps à autres ou qui montait les bonnes épreuves, à Paris. Je savais que Goulven n’allait pas tarder à arrêter mais, si jeune, j’avais l’impression de déjà connaître mon avenir. Mon rêve a toujours été de remporter de grandes épreuves, de décrocher, un jour, une Cravache d’Or. En province, ce n’est vraiment pas évident, pour ne pas dire concrètement impossible, même si Ioritz Mendizabal est l’exception qui confirme la règle. Et puis, surtout, je devenais un mauvais jockey…

Comment cela ?

En province, les courses ne se déroulent généralement pas de la même façon qu’à Paris. Il faut être plus offensif. Au début, on me reprochait de « dormir », dans le peloton. J’ai voulu corriger mais je suis tombé dans l’excès inverse : j’étais trop agressif, trop dur avec les chevaux. Je sortais le bâton trop tôt, j’attaquais de trop loin. Quand je regardais les vidéos, ensuite, je me rendais compte que j’avais fait tout ce que je n’aimais pas, tout ce que je détestais, même. Il faut savoir respecter les chevaux, quand cela se passe mal, que l’on n’est pas dans le bon wagon, ou que l’on se retrouve derrière de mauvaises roues. On doit penser à la course suivante. On peut casser la carrière d’un pur-sang en une minute. Il faut observer ces animaux, les écouter. Pour moi, le métier de jockey, c’est préparer des champions…

Alors ?

Je me suis dit qu’il était temps de changer, à tous les niveaux. J’aime travailler sur le long terme, avoir des montes « suivies ». Je suis parti et me suis installé à Chantilly, comme je l’ai toujours souhaité. J’ai travaillé pour Sylvain Loeillet, en Normandie, et Urs Suter et François-Xavier de Chevigny, à Chantilly. Toujours des allers-retours en voiture, mais je n’avais pas le choix. J’avais beaucoup de défauts, et il m’a fallu un an ou deux pour réadapter ma monte. Des personnes que j’ai côtoyées, comme Alain Coutétil, Dominique Sépulchre, Philippe Lacroix et Mathieu Le Forestier m’ont permis d’avancer. Je les en remercie.

Votre situation actuelle ?

Je suis free-lance. Le matin, je vais principalement chez Mathieu Le Forestier, mais je vais faire galoper les pensionnaires d’autres entraîneurs, comme Cordelia Van Zuylen, il y a quelques jours.

Vous vous rendez à l’étranger, aussi…

J’essaye d’acquérir une expérience internationale. J’ai monté une fois au Curragh. Impressionnant. J’ai conclu deuxième du Derby Polonais, j’ai gagné à Madrid, j’ai réalisé un coup de deux en Turquie, un Groupe I, donc, et un Groupe III, durant un week-end, j’ai disputé, en Turquie, le Derby et le Prix de Diane, dont j’ai fini 4ème, et, cette année, en Suède, l’élève de Mathieu Le Forestier, Non Stop, avec lequel j’avais enlevé le quinté Prix du Nabob, en octobre 2009, m’a permis de terminer 4ème du Grand Prix, en Suède. Avec Mathieu, nous avons les mêmes conceptions du travail, nous sommes sur la même longueur d’ondes…

Et en France ?

J’ai participé à un Groupe II, à Maisons-Laffitte, sans chances, j’ai pris deux places dans des listed Races, mais je n’y suis que rarement sollicité. C’est normal. J’ai encore beaucoup à prouver. L’entraîneur, qui a un objectif depuis des mois, fait appel à une cravache de renom, quand il n’a pas une vedette « maison ». Il faut tomber sur des chevaux qui vous mettent en valeur, montrer que l’on peut les conduire au poteau. J’y travaille, mais il y a de la concurrence. Les têtes de liste ont tous une belle casaque sur le dos, ou sont au service d’écuries à gros effectifs.  J’espère y parvenir mais, pour construire une carrière, c’est comme pour une maison, il faut des bases solides. Je veux avoir l’image de quelqu’un de propre, et de fiable, qu’on me téléphone pour gagner, pas simplement pour « mettre les couleurs » et faire, malgré soi, le clown sur la piste. Avec la délocalisation, je n’hésite pas à me rendre à droite et à gauche, et je n’ai même plus le temps d’aller à la pêche, mon « dada », mais ce n’est pas pour me mettre en selle à tout prix. Je m’efforce de monter « à bon escient ».

Objectif immédiat ?

Faire toujours mieux, signer de jolies courses…

Et plus lointain ?

Je n’en suis pas là, mais j’envisage, plus tard, de créer mon entreprise, toujours auprès des chevaux, bien sûr, de ne surtout être le jouet de personne, de pouvoir prendre, moi seul, les décisions que je juge opportunes. Et de… préparer des champions.