Lundi 8 Novembre 2010
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Il a passé le cap des 2.000 victoires, il a décroché 15 Cravaches d’Or, il détient tous les records…  Il répond aux turfistes de base comme aux plus grands propriétaires, il est comme il est et comme il a toujours été. A 43 ans, Christophe Pieux est entré dans la légende des courses depuis longtemps. Mieux, il est une légende…

Durant ce Week-End International de l’obstacle, vous avez encore gagné votre Groupe I, le Prix Maurice Gillois, le Grand Steeple-Chase des 4 Ans. Encore une bonne saison…

J’ai eu la chance de ne pas avoir une carrière en dents de scie, d’être épargné par les gros pépins. Chaque année, j’ai toujours réalisé à peu près les mêmes performances que la saison précédente.

Mais, depuis plusieurs années, vous n’obtenez plus le trophée suprême. Cela vous chagrine ?

Pas du tout. J’ai changé ma façon de travailler. Je privilégie les grandes épreuves, par rapport au nombre de succès, même si j’ai la même hargne au départ d’un Groupe I que d’un réclamer.

Et comment tout a-t-il commencé ?

Gamin, j’étais en colonie de vacances. Nous devions nous occuper de chevaux de promenade. Il y a eu le déclic…

Ensuite ?

J’ai quitté ma région, Pompadour, pour intégrer l’école AFASEC de Maisons-Laffitte, avec le regretté Léon Gaumondy pour maître d’apprentissage. Je suis ensuite entré au service d’Henri Lalanne, qui venait de s’installer, puis suis parti chez Guillaume Macaire, à Royan- La Palmyre, pendant un an et demi. De là, j’ai rejoint Jacques Ortet, à Pau, où je suis resté 17 ans…

En dehors de votre métier, vous avez toujours fait des « trucs » pas ordinaires… De la boxe au parachutisme, en passant par le saut à l’élastique ou le karting avec des chaussures à semelles de plomb…

J’ai toujours aimé les sensations fortes, me lancer des défis. Avec le karting, par exemple, battre le record de la piste, quitte à me manger les bottes de paille à chaque tour, avant que je n’y parvienne…

Vous vouliez surfer… sur les nuages !

Un sport de l’extrême qui m’aurait vraiment plu, oui. On saute de l’avion, avec un parachute dans le dos, bien sûr, mais une « planche » aux pieds, aussi, et, effectivement, on « surfe » dans les airs. Malheureusement – ou plutôt heureusement pour ceux qui s’y risqueraient sans maîtriser la pratique -, il y a beaucoup de conditions à remplir, avant de s’y essayer. Un certain nombre, minimum, de sauts « normaux » est requis, comme beaucoup d’autres formalités qui exigent que l’on s’y consacre pleinement, presque à temps plein. Or, je suis à 100% dans mon boulot. Ce ne m’était pas possible.

Vous exerciez d’autres sports aussi, ne serait-ce que la course à pied…

J’ai pris de l’âge, j’en ressens moins le besoin. Je suis comme ces vieux chevaux, bien rôdés, qu’il ne faut plus faire sauter, à l’entraînement, aussi souvent que durant leur apprentissage.

A propos d’âge, songez-vous, sinon à une retraite, tout au moins à ranger vos bottes ?

Tant que j’ai les chevaux « pour », que, physiquement comme mentalement, je me sens en pleine possession de mes moyens, tout roule… Je continue. Maintenant, j’arrêterai forcément un jour. Mais je ne peux vous dire quand… Dans trois semaines, dans six mois, dans deux ans ? Ce sera un peu comme l’a fait Freddy Head, sur un coup de tête… un tantinet réfléchi ! Un jour, je mettrai pied à terre, en revenant au rond de présentation, et je dirai : « C’est fini… ».

Et que ferez-vous ?

Devenir entraîneur me passionnerait, et je pense avoir acquis assez d’expérience pour pouvoir réussir. Mais, je me connais, je ne supporterais pas la « clientèle ». J’ai toujours fait ce que j’avais envie de faire, j’aurais trop de mal à accepter que des propriétaires se mêlent de mon travail ou essayent d’influer sur mes décisions… Il faudrait donc que j’entraîne mes propres représentants. Ce n’est pas impossible. Mais les idées qui me viennent à l’esprit, actuellement, ne tournent pas autour des chevaux.

Autour de quoi, alors ?

J’aime le concret. Ce serait parler en l’air qu’évoquer ces projets. Il peut se passer tant de choses, je peux changer d’avis et, de toute manière, je n’en suis pas encore là.

De nouveaux challenges ?

Sans fanfaronner, cela devient difficile de m’en fixer…

Parmi toutes vos victoires, si vous deviez en détacher une ?

Aucune, ou toutes, si vous préférez. Mon premier Grand Steeple, avec Line Marine, en 2003, a eu une saveur toute particulière, sur le moment, parce que je ne l’avais pas encore gagné, mais j’ai été tout aussi heureux, en 2005, de le remporter avec Sleeping Jack, pour Jacques (NDR : Ortet)…

Quand vous l’avez enlevé avec Remenber Rose, en 2009, vous êtes revenu avec la botte gauche coupée en deux, et les chairs, en-dessous, également, orteils cassés et ligaments sectionnés…

Mais j’avais gagné… Et ce n’était pas grand-chose, je n’ai été arrêté que très peu de temps.

Au printemps 2010, vous vous êtes fracturé le scaphoïde…

Oui, mais, là encore ce n’était pas terrible. Un peu de repos, et c’était reparti…

Quelles épreuves majeures ne figurent pas à votre palmarès ?

Deux « nouveaux » Groupes, qui ont été créés il y a 4 ou 5 ans : le Prix Bournosienne et le Prix André Adèle.  Et je n’ai pas encore épinglé le Prix de Longchamp…

Depuis plus de 20 ans, vos confrères vous disent « en fer »…

Ils le disent, mais c’est faux. Je crois que c’est à la portée de tout être humain. C’est une question de volonté.

Comme celle qui vous anime pour « faire le poids » ?

Les kilos sont mes ennemis depuis longtemps. Mais je commence à me connaître. Un nutritionniste me suit, épisodiquement désormais, je varie les régimes, je me mets à la diète complète deux jours, espacés, par semaine et je fais extrêmement attention à mon alimentation. Ainsi, je peux me mettre en selle à 65 kilos. Maintenant, si vous me proposez un « penalty », à 64, pas de soucis… Je connais le chemin du sauna.

Vous avez été, et êtes toujours, « le » modèle des nouvelles générations, et nous en sommes à 4 ou 5, depuis vos premières Cravaches d’Or… Quel regard portez-vous sur les « petits nouveaux » ?

Il y a de très bons jeunes, dans les vestiaires. Doués et prometteurs. Maintenant, il faut durer, savoir encaisser les coups, se remettre de blessures, ne pas baisser les bras… Et surtout ne pas se prendre pour une star quand on traverse une période faste… Réunir tous ces critères n’est pas donné à tout le monde.

Ne pas se prendre pour Pieux ?

(Rires) Je vous assure que, même moi, je ne me suis jamais pris pour Pieux…

Vrai qu’on vous voit répondre aux questions de spectateurs, signer des autographes, vous adresser, avec le même respect, au marchand de journaux, au vendeur de saucisses, lors des fêtes de la Madeleine, à Mont-de-Marsan, ou aux dirigeants de France Galop…

Quand j’ai le temps, pourquoi me priver de ces moments de convivialité, de sympathie… Vous savez, dans certaines circonstances, dans une petite pièce bien particulière où l’on s’enferme, généralement, nous faisons tous les mêmes grimaces…

Aimez-vous toujours autant faire la fête ?

On ne va pas me changer maintenant. J’ai toujours conçu ma vie ainsi, toujours été un gars « de l’avant ». Pour moi, quand c’est boulot, c’est boulot. Mais quand c’est rigolade, c’est rigolade. Les amis, le partage de ces instants de joie, arroser les beaux résultats…

La chaîne télé Equidia vous a consacré un reportage… Vous avez emmené Véronique Verva, l’animatrice, à la chasse à la palombe… Vous êtes chasseur ?

Non. La chasse à la palombe, ou autre « connerie » du genre, est simplement prétexte à se retrouver entre copains, et à une bonne fiesta.

Jean-Pierre Godet, bon jockey, lui aussi, répétait aux « mômes » qui rêvaient de devenir des vedettes : « Chercher à imiter Pieux sur la piste, c’est bien, mais vraiment pas facile. Le copier dans sa vie, ce n’est pas la peine, vous ne tiendrez pas la distance… ». Beau compliment ?

(Rires). Oui.

D’ailleurs, plusieurs « météorites » ont plus ou moins disparu…

La peur fait partie inhérente de notre job. Quand elle devient trop forte, mieux vaut savoir mettre le holà.

Vous ne la connaissez-pas ?

Je vous mentirais en disant que non. Je suis comme tous mes collègues. Nous ne savons jamais, au départ d’une course, comment nous allons rentrer. Disons que j’ai appris à la maîtriser et, de toute façon, je ne suis pas « trouillard ».

Avez-vous d’autres passions, que les chevaux et la compétition ?

Non. Quand ça me plaît, j’y vais « à fond ». Et je ne conçois pas de ne pas me donner totalement à ces sentiments indicibles qui me font vibrer de la tête aux pieds : mon métier.