Exceptionnellement, cette rubrique n’abrite pas une interview, et pour cause. Pourtant, le prometteur Benjamin Boutin, avec déjà 14 victoires, n’aurait pas tardé à passer sous le feu des questions de ce site : il était « programmé », dès qu’il en ajoutait une « belle » à son palmarès. Mes amis jockeys, j’en suis certain, auraient jugé indécent de mettre le doigt sur les prouesses de tel ou tel, connu ou non, et de passer sous silence le décès de l’un des leurs.
Moi-même ne m’en sentais pas la volonté.
Benjamin venait de fêter ses 21 ans, un avenir plutôt rose se dessinait dans son ciel sans nuages. Tous les témoignages de ses différents « patrons » sont unanimes : travailleur, jovial, doué, d’humeur toujours égale, on ne lui trouvait pas de défauts… Il était en train de pousser encore plus loin ses rêves, le premier ayant été, déjà, de monter en course. Beaucoup lui prédisaient une belle carrière…
Et puis, ce sale samedi 26 novembre, par un sale temps à Argentan, la « sale » chute. Collective, de plus, comme il peut en arriver de temps à autre, en plat. Mais, là, ce fut une séquence d’épouvante, un subit amalgame de chevaux et de cavaliers plus ou moins écrasés… J’imagine la réaction des proches, plus exacerbée encore que celle des turfistes présents sur l’hippodrome et des téléspectateurs d’Equidia, les cris irrépressibles de tous, avant l’attente angoissée de nouvelles rassurantes… Qui ne viendront pas, pour Benjamin. Sylvain Bellanger se relèvera avec une clavicule cassée, Teddy Richer avec une fracture de l'omoplate. Mais tous deux, comme tous les participants à cette course de "mômes" garderont des cicatrices, irrémédiables, dans leurs têtes...
Le lundi matin, en état de mort cérébrale depuis l’accident, Benjamin nous a quittés.
Il est venu s’ajouter à la triste liste, depuis une quarantaine d’années, des D. Carlotti, C. Morice, François Desdoit, Michel Battut, Daniel Merle, B. Florentin, Bernard Monnier, M. Viganigo, M. Bellanger, Guy Hunault, Christian de Saint-Martin, Laurent Bruna, Jean-Claude Certené, Hervé Praud, Hélène Texier, Roger Duchêne, Christophe Carot, Michel Linarès, Hervé Ginoux, Sandrine Boisnier, Nathanaëlle Artu, ou Guillaume Javoy, qui ont tous laissé sur la piste leur passion et leur vie. La passion de leur vie. D’autres, comme Didier Mescam ou Patrick Havas ne sont pas revenus d’une séance d’entraînement, et, pour ne pas remuer davantage de douloureux souvenirs, je ne ferai qu’évoquer les Daouda Ka, Bruno Monville, Jeanne Dufour, Valérie Sallès, Anthony Carré, Sylvain Hureau, Franck Hélary, Davy Jeffrard et autres Vincent Suscosse – j’en oublie volontairement -, qui se sont tous gravement blessés et ont dû abandonner « le métier »…
Chaque année, les « chiffres noirs » diminuent, grâce au travail incessant des membres de l’Association, qui se rendent partout en France pour améliorer la sécurité, et aux organisateurs de compétitions qui les écoutent. Mais le risque « zéro », comme partout, n’existe pas.
En ce qui concerne Benjamin, comme pour tous les accidentés, ce n’est évidemment pas de gaîté de cœur que « l’Asso » prend tout en charge (financièrement parlant, aussi), de A à Z, ici des obsèques à toutes les « formalités » administratives.
Ne voyez surtout en rien, dans ces lignes, une « publicité » plus que déplacée : des faits, hélas, trop réels, qui justifient « l’autre côté » du Gala des Courses et les appels aux dons, de toutes parts.
Un Petit Prince est mort… J’espère que, là-haut, Saint-Exupéry lui dessinera un beau petit cheval. Celui que Benjamin avait dans le cœur.
Jérôme Bernardet