Bien que toujours jockey, lui qui a décroché deux Cravaches d’Or de l’Ouest et a dépassé le cap des 400 succès, il est désormais aussi entraîneur. Le 29 avril, à Angers, il a eu la joie de seller son premier gagnant en obstacle, Unesko (quel joli nom, même avec un « k » !) et, mardi 22 mai, en plat, cette fois, il n’a laissé à personne d’autre le plaisir de passer le poteau en tête, l’emportant de bout en bout, sur sa pensionnaire Wevanella, cinquième « aboutissement » 2012. Une heure plus tôt, il avait conclu deuxième pour François Doumen, qui l’avait associé à Umbrage. Anthony Clément, qui aura 36 ans le 15 septembre regarde dans le « rétro » et dessine son avenir…
Il y a beaucoup de « Clément », dans le monde hippique…
Oui, mais je n’ai aucun lien de parenté avec entraîneurs ou cavaliers… Mon père était magasinier et, avec ma mère, nous faisions office de « famille d’accueil ».
Dans quelle région ?
A côté de Châteaubriant. De fait, les hippodromes ne manquaient pas, autour de chez nous, et j’accompagnais mes parents, turfistes convaincus, des « vrais », tous les dimanches. C’était notre sortie hebdomadaire. J’ai vite apprécié, puis aimé, au point de vouloir devenir jockey.
Une expérience des poneys-clubs ?
Aucune. Les seules fois ou, gamin, je me suis mis en selle, c’était pour des « tours d’âne », les jours de kermesse.
Alors ?
Je suis entré à la Maison Familiale de Pouancé, à 14 ans, et Maurice Bouland, qui n’habitait pas trop loin de la maison, a été mon premier maître d’apprentissage.
Maurice Bouland qui avait remporté le Groupe I de longue haleine, Prix Gladiateur, en 1990, avec saMercalle, en prenant la poudre d’escampette…
C’est exactement à cette époque que je suis arrivé. C’était magnifique. De mon côté, durant un an, j’ai surtout appris à monter. Il y avait du boulot…
Pourquoi, un an ?
Maurice a connu des soucis familiaux et a considérablement réduit son effectif. J’ai donc terminé cette période chez Patrick Monfort, à Senonnes. Lui m’a fait débuter, j’ai perdu ma décharge pour lui et je suis resté salarié à l’écurie durant quatre ans.
Faciles, les premiers lauréats ?
Non. Ils ne viennent pas tout seuls, et ce fut même assez dur. Mais il faut toujours persister, se perfectionner. Comme dans tous les sports, on prend petit à petit du métier, on s’améliore. On finit par se faire une « petit » nom, qui entraîne d’autres demandes, dans des épreuves un peu plus relevées, avec des partenaires d’une qualité un peu supérieure. Et on apprend encore. J’ai du enregistrer une centaine de gagnants pour Patrick Monfort. Mais, comme il aimait, et c’est un peu une règle chez lui, que ses apprentis tâtent de l’obstacle, j’y ai goûté.
Problèmes de poids ?
Non. J’étais compétitif à 52 ou 52,5 kilos. Aujourd’hui, alors que je cherche moins à « faire le poids », vu ma position d’entraîneur, je le suis à 54 ou 54,5. Mais j’ai pris du plaisir, dans cette nouvelle discipline, et j’ai d’ailleurs participé à 59 courses, uniquement sur les haies, pas de steeple-chase. J’avoue toutefois ne jamais avoir eu l’âme d’un jockey d’obstacle.
Des résultats ?
Six victoires, dont une à Auteuil. Mais je suis tombé, aussi, deux ou trois fois, et ces culbutes m’ont refroidi. Cela dit, je ne regrette rien, car j’ai « pris mon pied » lors de cette expérience.
La suite ?
J’ai eu l’opportunité de rejoindre le staff d’Henri-Alex Pantall, où je suis resté quatre saisons. J’avais 22 ans, et, moi qui arrivais d’un établissement « familial », je me retrouvais dans une véritable « entreprise », avec 140 pur-sang et 35 salariés. J’ai encore découvert d’autres épreuves, d’autres chevaux. Je pense que j’ai mûri, que cette « école » m’a beaucoup servi. J’ai toujours réalisé un score de 25 par an, j’ai eu la joie de gagner mes deux premières listed Races, à chaque fois le Prix Urban Sea, au Lion- d’Angers, d’abord avec Noctilicent puis Ivy League. A cette époque, j’ai aussi décroché 3 quintés, dont deux à Deauville, avec The French et Blue Field, puis un autre à Craon.
Tout « baignait », donc ?
Oui. Mais, d’un autre côté, quand autant de monde travaille pour la même grosse écurie, il se crée comme des « clans », avec des partis pris, à choisir, qui ne me plaisaient pas et ne correspondaient pas à mon état d’esprit.
Les valises ?
Oui. Retour à Senonnes, d’autant qu’avec ma femme, Aurélia, nous venions d’avoir notre petite Laura. J’ai travaillé chez Florent Monnier, deux ans, avec, à chaque fois, une trentaine de réussites. Le centre d’entraînement, pour lequel le regretté Claude Rouget – quel Bonhomme ! – avait œuvré durant des lustres, venait de voir le jour. C’est alors que j’ai pu intégrer l’équipe d’Alain Couétil, qui venait de s’installer à Senonnes, Là, j’ai vécu comme une consécration, à mon niveau, bien sûr. Deux Cravaches d’Or de l’Ouest. Ce n’est pas de la « gloriole », mais j’en suis fier. Elles représentent un gros travail. J’ai dû me battre, aller à Montauban et partout en France pour marquer des points. Je ne sais même pas combien de kilomètres j’ai parcourus en voiture, mais il n’était pas permis d’hésiter.
Et puis ?
A 33 ans, j’ai eu envie d’obtenir ma licence d’entraîneur. C’était le but que je m’étais fixé, depuis un bon moment. Je tenais à m’installer assez jeune, ne pas repartir de zéro après ma carrière de jockey, qui, pour l’instant, n’est pas près de s’arrêter, tant que mon corps est d’accord et que mon mental m’y pousse. Tant que je serai toujours aussi heureux à cheval.
Diplôme en poche ?
Oui. Mais, malheureusement, j’avais le « carton » depuis à peine six mois, en juin 2010, avec six chevaux dans mon établissement, à Senonnes, quand je suis tombé, au Grand Fougeray. Fracture ouverte du tibia, le bras, les côtes… Bref, trois mois sans poser le pied à terre, un mois de rééducation, et privé d’équitation durant six.
Qui faisait tourner la « boutique » ?
Mon beau-père, Bernard Mion, ancien jockey avec 400 victoires sur sa carte de visite, puis cavalier d’entraînement chez Henri-Alex Pantall, pour qui il avait emmené, et travaillé, Touch Of Land, à Hong Kong, en 2005. Il venait de prendre sa retraite et, dès le 5 juillet, à Sablé-sur-Sarthe, Angelhid a été notre premier gagnant.
Combien d’éléments, maintenant ?
Une quinzaine. Appartenant à une petite dizaine de propriétaires, qui sont parfois associés, mais qui honorent toujours les factures, en fin de mois, ce qui est primordial.
L’affaire est rentable ?
Il ne faut pas espérer gagner de l’argent, les premiers temps, mais tout va bien. Nous ne sommes pas « dans le rouge ». C’est un boulot énorme, évidemment, et j’ai deux employés. Je ne vais pas vous apprendre ce que représentent les charges, la nourriture, les soins…
Le palmarès ?
En tant qu’entraîneur, il y a eu quatre « tilts » en 2011, et nous en sommes à cinq, en 2012. La bonne pente.
En dehors de vos propres chevaux, vous montez toujours pour « l’extérieur » ?
Oui. Je me suis d’ailleurs assuré les services d’un agent, Antoine Mortéo, qui s’occupe aussi, entre autres de Fabrice Véron, que je n’avais pas quand j’étais uniquement « jockey ».
Pourquoi ?
Parce que, matériellement et au niveau du temps, je ne peux plus tout gérer tout seul, qu’il me trouve des opportunités, en tant que jockey, et qu’il se débrouille pour que mes élèves, en plat, à un petit poids, ou en obstacle, soient dans de bonnes mains.
Puisque vous êtes entraîneur, vos confrères n’hésitent-ils pas à faire appel à vous, comme pilote, redoutant qu’à votre retour dans le rond de présentation, vous ne tentiez de séduire les propriétaires, d’une manière ou d’une autre ?
Je vois ce que vous voulez dire, et ce serait dans le domaine du possible. Mais je n’ai jamais cherché à « piquer » des clients à ceux qui me font confiance. Je crois que tout le monde le sait.
Vous n’avez pas l’air décidé à ranger vos bottes…
Etre au départ d’une épreuve me procure toujours les mêmes sensations. Pourquoi m’en priver ?
Des modèles ?
Je pourrais vous répondre Pieux, ou Peslier, par exemple, sans négliger beaucoup d’autres, au niveau du style, de la position, des performances… mais je suis admiratif de gars comme Xavier Le Stang, qui a plié sa casaque il n’y a pas si longtemps, ou Christian Le Gaillard, qui est toujours derrière les élastiques, et qui, tous deux, ont conjugué « entraîneur-jockey » à leur présent quotidien. Je leur tire mon chapeau.
Puisqu’elle est fille de Bernard Mion, je ne vous demande pas si Aurélia comprend, et admet, les impératifs du métier…
D’autant que sa mère n’est autre qu’Elisabeth Garel, qui a été Championne du Monde des Cavalières amateurs et quatre fois Cravache d’Or, dans la même catégorie.
Elle vous aide ?
Elle ne monte pas mais gère tout ce qui est paperasserie, et c’est énorme.
Votre fille ?
Elle a 10 ans, passe tous ses samedis avec des poneys.
Des compétitions ?
Elle commence à les évoquer…
D’accord ?
A elle de voir.
Des loisirs ?
Vraiment très peu. Un bon restau, en rentrant des courses, quand la chance nous a souri, ou une vraie soirée « cinéma », pour tous les trois. Plus rarement, un petit week-end, avec pour objectif des parcs, comme le Futuroscope, le zoo de La Palmyre, de La Flèche ou d’ailleurs…
Des vraies vacances ?
Jamais. En rêvant un peu, elles viendront un jour, quand nous pourrons nous offrir le luxe d’avoir un « premier garçon » à nos côtés. Mais il me reste à faire mes preuves…
Un mot, ou trois, à ajouter ?
Que tout continue…