A bientôt 37 ans, Karl Martin ne rêve plus de devenir un jockey vedette. Son parcours n’a pas été un long fleuve tranquille, et il a même rangé ses bottes à deux reprises. Avant de revenir à ses premières amours : la compétition.
Etes-vous issu d’une famille de cheval ?
Pas du tout. Mon père est décédé alors que j’étais encore bébé. Ma mère était « factrice ». Le hasard d’un déménagement a voulu que nous nous installions à côté d’un club hippique. J’allais caresser les chevaux, je suis tout de suite tombé amoureux… Un jour, ma mère m’a emmené aux courses, à Deauville. Là, j’ai su que je voulais devenir jockey.
Donc, l’AFASEC ?
Oui, à Graignes. A l’époque, il y avait encore une branche « galop ». J’y ai connu Morgan Chérel, Nicolas Millière, Yann Barberot… Puis j’ai eu Yves de Nicolay pour maître d’apprentissage, à Deauville. Je suis resté 9 ans chez lui.
Avez-vous monté en course, à cette époque ?
A 17 ans, j’ai goûté à la compétition, en plat comme en obstacle. Mais je n’ai disputé qu’une vingtaine d’épreuves. Yves de Nicolay est un professionnel hors pair, au côté de qui l’on apprend énormément. Mais ce n’est pas un formateur d’apprentis… Il est très dur, dans le travail. Tout en continuant à travailler le matin, à l’entraînement, je faisais le « garçon de voyage » et, la dernière année, j’ai même joué le rôle de « premier garçon ».
Pourquoi avoir laissé tomber ?
En 1997, j’ai rencontré Alexandre Fracas, entraîneur « local » lui aussi. Il m’a rapidement dit de reprendre ma licence, qu’avec ma décharge, j’allais avoir de nombreuses occasions de me mettre en selle. C’était vrai. J’ai disputé ma première course, pour lui, le 1er mai 1997 et, le 13 mai, je gagnais à Saint-Cloud.
Il y a eu d’autres victoires…
34, en tout, dont une quinzaine à « Paris », durant le temps où je bénéficiais de la décharge. Mais la plus belle, ce fut en juin 1998. Mon fils est né à 12 heures 50, à Deauville. J’étais là, bien sûr. Puis j’ai sauté dans ma voiture, direction Argentan, où j’étais engagé dans la première. Le timing a été serré mais je suis arrivé à temps et… j’ai passé le poteau en tête !
En juin 2000, à Longchamp, vous avez été victime d’un accident…
Oui. Des remous, un tassement… Je ne crois pas avoir perdu connaissance, mais je ne me souviens plus de rien. On m’a dit qu’il avait fallu pratiquer un massage cardiaque… Disons que ce fut un gros choc, au sens propre du terme, mais, en fait, je n’avais rien de cassé. Un mois plus tard, j’étais à cheval, et j’ai d’ailleurs fait deux gagnants…
Et puis, il y a eu juin 2001…
J’avais trois « partants », à Lisieux. François Bellenger cherchait un jockey, au pied levé, pour une pouliche inédite de 3 ans. J’ai accepté. Durant le parcours, elle a pris peur, a fait un écart, et je suis tombé dans ses jambes. Je me suis relevé, mais j’avais le visage en sang… Quinze points de suture sur la joue gauche…
Un déclic ?
Oui. Nous avions, donc, déjà nos deux enfants, Elyse et Charles qui, aujourd’hui ont respectivement 15 et 12 ans. J’ai réfléchi. Puis j’ai dit à ma femme, Karine, que j’arrêtais.
Et qu’avez-vous fait, alors ?
Je faisais toujours partie de l’équipe d’Alexandre Fracas, je montais les galops du matin… Mais, même si la décision venait uniquement de moi, j’avais du mal à accepter d’amener les chevaux sur les hippodromes, de les avoir préparés à l’entraînement et de monter… dans les tribunes. Au bout de 2 ans, j’ai changé d’orientation.
C’est-à-dire ?
Xavier Richard, qui était jockey, notamment pour Alexandre, a décidé de se lancer dans le débourrage et le pré-entraînement. Il m’a demandé de le suivre dans cette aventure. Pendant 4 ans, nous avons obtenu d’excellents résultats, et, d’ailleurs, Xavier en a toujours…
Vous avez encore changé de cap ?
Je me suis rendu compte que le pré-entraînement, ce n’était pas vraiment mon « truc », et les courses me manquaient trop. Du coup, comme j’ai appris qu’Alexandre cherchait quelqu’un, car l’un de ses apprentis, Julien Couton, était parti tenter sa chance aux Etats-Unis, je suis retourné le voir. Il m’a réembauché et, au bout de quelques temps, il m’a glissé de nouveau à l’oreille : « Et si tu reprenais ta licence ? »
Alors ?
J’ai eu la chance de ne pas avoir trop grossi, depuis 2001, et je suis redescendu facilement à 54,5 kilos. Quand j’ai annoncé la nouvelle à ma femme, Karine, elle m’a dit que la décision n’appartenait qu’à moi, seul. Je la remercie encore aujourd’hui car, au fond de son cœur, je sais qu’elle n’y tenait pas trop. Elle connaît bien les risques du métier… et ses contraintes. Toujours sur les routes, l’éternel « petit régime »…
Ce retour à la compétition s’est-il bien passé ?
C’était le 12 avril 2009, à Lisieux, justement, comme pour exorciser le mauvais souvenir. J’avoue que j’avais l’appréhension… d’avoir l’appréhension ! J’avais un peu de mal à me mettre dans le « paquet », j’avais peur de commettre des boulettes, après tout ce temps… Mais non, petit à petit, j’ai retrouvé tous les réflexes, je peux « slalomer » dans le peloton, me faufiler dans un trou de souris... J’ai dû monter à 130 ou 140 reprises, pour 13 succès et une trentaine de places. Je suis heureux, je trace de beaux parcours, sans faire d’erreurs. Alexandre est content et des professionnels, comme Stéphane Wattel, Yann Barberot ou Jean-Vincent Toux – les « Deauvillais », quoi – font appel à mes services.
Vous allez aussi, assez régulièrement, en Martinique…
Fin août, Jérôme Cabré, qui devait se rendre là-bas, pour un programme du dimanche, a eu un empêchement, et m’a demandé si je voulais le remplacer. J’y suis allé. Et, ce fameux dimanche, j’ai réussi un coup de deux : le Derby des 3 ans, pour Hugues Jean-Louis, le propriétaire-entraîneur avec qui Jérôme Cabré était en contact, et une autre épreuve, pour un autre entraîneur régional… Du coup, j’y retourne une fois par mois, depuis, et ça marche bien…
Un peu de tourisme, dans l’île ?
Non. Ce sont des voyages fatigants. 8 ou 9 heures d’avion, le samedi, et je retourne à l’aéroport dès la réunion terminée, le dimanche soir… Mais cela me plaît. Les gens sont très gentils, très accueillants, et puis, ça met un peu de beurre dans nos épinards.
Et quels sont vos objectifs ?
Il est bien évident qu’à bientôt 37 ans, je ne rêve pas d’égaler les Soumillon, Peslier ou Lemaire, ni même de terminer un jour sur le podium de la Cravache d’Or. Mais j’espère tout de même remporter plein de courses et… continuer à me faire plaisir !