Mardi 25 Mai 2010
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A 31 ans, il a acquis une réputation internationale, fait partie des meilleurs jockeys du monde et s’est forgé un palmarès exceptionnel. A peine savait-il marcher qu’il était déjà à cheval, qu’il se livrait à des numéros de voltige, debout sur la croupe du pur-sang que montait son père, l’une des plus fines cravaches d’Auteuil… Malgré sa réussite, Christophe Lemaire a su rester le même. La preuve : il répond sans détour à toutes les questions…

Vous n’avez jamais eu d’autres ambitions que de devenir jockey ?

Au plus loin que puissent remonter mes souvenirs, je n’ai toujours eu que cette idée en tête…

Et jockey d’obstacle, comme papa Patrice ?

Non. Le plat m’attirait davantage.

Pourtant, vous n’êtes pas entré dans une école AFASEC…

Non. Mes parents tenaient à ce que je fasse des études « normales ». Je suis allé jusqu’au bac littéraire et là, ils m’on dit : maintenant, tu fais ce que tu veux…

Un peu tard, non ?

J’ai suivi la filière des « gentlemen-riders », comme Frédéric Spanu. Pendant deux ans, j’ai évolué dans les rangs amateurs.

Ensuite ?

Ensuite, j’ai été autorisé à participer aux épreuves pour professionnels, mais, comme le veut le règlement, je n’ai pas eu droit à la décharge due aux apprentis, la première année.

Pas de maître d’apprentissage non plus, alors ?

André Fabre m’a pris à son service, comme cavalier d’entraînement. Certes, il ne m’a mis en selle qu’en province ou dans quelques petits maidens parisiens, mais j’ai beaucoup appris, chez lui. J’étais au contact de pilotes comme Olivier Peslier, Thierry Jarnet et Alain Junk, qui m’ont tous donné de précieux conseils… Je suis resté 3 ans chez André Fabre.

Où êtes-vous allé, après ?

Nulle part ! (rires). En 2000, j’ai décidé d’être « free lance ». Freddy Head, et je l’en remercie, a fait appel à moi, notamment pour des « poids légers », à Deauville, ce qui m’a permis de me faire « une petite clientèle », le temps que je me « façonne ». Puis, l’hiver, je suis parti en Inde, où cela a bien marché pour moi… Patrick Barbe m’a proposé de devenir mon agent. Aujourd’hui, c’est sa femme, Hélène, qui a pris le relais mais, depuis dix ans, je ne les ai pas quittés. Ils m’ont ouvert beaucoup de portes, notamment au Japon, où je me rends tous les ans.

Vous-êtes vous rapidement adapté, au pays du Soleil Levant ?

J’aime les voyages, découvrir d’autres pays. Et, regardez, même sans parler des meilleurs, les jockeys français parviennent à s’adapter et à réussir un peu partout dans le monde, à Singapour, en Inde, à Macao, aux Etats-Unis…

A quoi cela est-il dû, selon vous ?

Au rythme de nos courses, qu’elles soient « tactiques » ou non. Les français apprennent à se « tirer » d’un peu toutes les situations.

En 10 ans, donc, votre ascension, si elle n’a pas été fulgurante, a toujours été constante…

J’ai eu la chance d’être appelé par de grands entraîneurs, d’être associé à de grandes casaques et, depuis cette année, aux représentants de Son Altesse l’Aga Khan…

Vous avez deux contrats…

Comme convenu avec l’entourage de Son Altesse, je garde une priorité à la famille Niarchos, qui me fait confiance depuis de nombreuses saisons. D’ailleurs, c’est curieux, par le passé, il était bien rare de trouver, dans des épreuves de haut niveau, un « Niarchos » et un « Aga Khan ». Désormais, c’est beaucoup plus fréquent. Et c’est tant mieux. Tout le monde joue le jeu, et je me dois aussi de respecter les règles, même si je dois perdre quelques gagnants…

Ce n’est pas trop difficile à gérer ?

Non. Je me sens bien dans ma peau, sous mes deux « casquettes », avec ces grands propriétaires. L’essentiel, c’est de bien faire mon boulot.

Parmi toutes vos victoires, lesquelles vous ont le plus marqué ?

Le Prix de Diane de Divine Proportions. Toute ma famille était là, c’était extraordinaire. Sur un plan émotionnel, mon premier Groupe I, le Prix Jean Prat, avec Vespone, même si le « Jean Prat » n’a pas le même renom qu’un Prix de Diane ou un Jockey-Club. Ce jour-là, je me suis dit, une fois le poteau franchi : « Ca y est… Tu as gagné ton Groupe I, tu as réalisé ton rêve, tu l’auras fait au moins une fois dans ta vie… » car, vu mon parcours, ce n’était pas couru d’avance… Et puis, il y a eu aussi le Jockey-Club de Le Havre… Mon premier Jockey-Club, bien sûr, mais surtout l’aboutissement de ma collaboration avec Jean-Claude Rouget, un immense professionnel à qui il manquait encore un grand succès pour parfaire sa carrière.

Et vous avez quitté Jean-Claude Rouget…

Quand il a appris les propositions que l’on m’avait faites, au niveau de l’écurie princière, il m’a dit, très sportivement : « Tu ne peux pas refuser… Tu serais fou de rater une telle occasion… »

Vous gagnez très bien votre vie, vous êtes reconnu en France, en Asie ou en Angleterre… De quoi avoir la tête qui tourne, ou qui gonfle, non ?

Les gens qui me connaissent depuis longtemps savent que je ne changerai pas. Et, si, brusquement, je devais me prendre pour « un autre », tous mes proches, ma femme, mes parents ou beaux-parents seraient là pour me « redresser ». Et puis, avec Barbara, mon épouse, nous ne sommes vraiment pas exubérants, pas « bling bling ». Je me considère comme un privilégié : je vis de ma passion, je n’ai pas de soucis d’argent, j’ai une famille formidable, avec deux beaux enfants, Lucas, 5 ans, et Andréa, deux ans et demi… Tous sont en bonne santé, c’est le principal. Le reste, ce n’est que du bonus. J’ai reçu une éducation qui me sert tous les jours. Je dis souvent aux jeunes : être jockey, ce n’est pas savoir bien se tenir à cheval, mais aussi dans la vie, et tous ses à-côtés. Il faut savoir faire preuve de diplomatie, tout le monde a besoin de tout le monde… Dans notre microcosme, il y a beaucoup de pression, parfois. Il arrive que surviennent des étincelles. Si tu souffles dessus, tu mets le feu, si tu les arroses, tu calmes le jeu…

La Cravache d’Or ?

C’est une récompense que j’aimerais bien décrocher au moins une fois, mais je ne cours pas après. Pour l’obtenir, il faut monter tous les jours, un peu partout, et toute l’année. Pour ma part, comme je vais exercer au Japon 4 mois par an, il m’est difficile de lutter.

Que pensez-vous de l’Association des Jockeys ?

Elle permet de fédérer la profession. L’équipe dirigeante est très dynamique, s’emploie à sécuriser au maximum nos conditions de travail, toutes les initiatives sont bonnes, et, chez nous comme ailleurs, il faut se serrer les coudes…

Vos loisirs ?

Vu nos emplois du temps et nos déplacements en province, je n’en ai pas beaucoup. Je consacre les quelques heures libres qui me restent à ma famille, mes proches, et à la maison que nous avons achetée à Coye-la-Forêt, près de Chantilly.

Pas de sorties ?

Si, quand je n’ai pas de courses le lendemain, ce qui est assez rare. De toute façon, je ne suis pas un « galérien ». Je préfère un bon dîner à la maison, avec des amis, ou des « soirées » foot, avec les copains. J’aime tous les sports, mais j’adore le foot. Je suis aussi un fan de cinéma.

Votre père est fier de vous…

Alors, je suis fier qu’il soit fier de moi.