La saison hippique corse 2010 s’est terminée dimanche 17 octobre, à Prunelli. Et, avec le même score que l’an passé, 25 succès, Richard Juteau, 41 ans, y a décroché sa troisième « Cravache d’Or » de l’île de Beauté consécutive. Pourtant, l’homme est installé à Lyon, depuis de nombreuses années. Il approche des 400 victoires, sans n’avoir jamais fait la « une » des journaux spécialisés. Eclairage…
Vous et votre frère, Stéphane, avez choisi d’être jockeys… Une histoire de famille ?
Non. Mais nous nous sommes de Segré, pas loin de Craon, région du cheval. Nous avions deux oncles Paul, qui a malheureusement disparu dans un accident de la route, et Alain Delanoé, entraîneurs de trotteurs. Je n’ai jamais accroché, avec le trot, même si je me rendais régulièrement dans l’écurie d’Alain, donner un coup de main, faire les boxes… Un autre oncle, lui, était un turfiste acharné, et tous les dimanches, je l’accompagnais sur les champs de course. J’ai tout de suite voulu devenir jockey.
Itinéraire classique ?
Oui. Pour Stéphane, qui est de 2 ans mon aîné, comme pour moi. L’école AFASEC du Moulin-à-Vent, à Gouvieux, et André Fabre pour maître d’apprentissage, pendant 4 ans.
André Fabre ?
Oui. Grâce à notre cousin, Patrice Lemaire, qui était à son service, pour l’obstacle, nous avons pu rejoindre cette prestigieuse écurie. D’ailleurs, quand j’y suis arrivé, M. Fabre entraînait encore pour Auteuil, mais un an plus tard, il a arrêté.
Avez-vous beaucoup monté, pour lui ?
Non. A cette époque, et contrairement à maintenant où il a lancé beaucoup de jeunes de talent, il avait ses cavaliers « maison » et ne faisait que très peu appel aux apprentis. Il y avait tout de même eu Yannick Fouin, qui avait d’ailleurs obtenu l’Etrier d’Or. Pour ma part, j’ai dû me mettre en selle à 4 ou 5 reprises…
La suite ?
Chez M. Fabre, j’ai connu Pierre Boulard. Son père, Louis, cherchait un apprenti, à Lyon. J’ai fait mes valises.
Et alors ?
Je montais tous les représentants de la casaque Bedel, derrière Robert Laplanche et Jean-Pierre Gauvin, et j’ai perdu ma décharge, donc enregistré 70 gagnants, en deux ans. Je me souviens d’ailleurs très bien du 70ème, c’était Sifacar, appartenant à Jacques Bouchara et préparé par Alain Lyon. Je suis resté 5 ou 6 ans, chez Louis Boulard.
« Divorce » ?
Non. Mais il a décidé de « descendre » à Marseille, où il devait s’occuper de l’effectif de Jean-Claude Seroul. Je suis marié à une Lyonnaise, j’avais fait ma vie là-bas, j’ai décidé de rester.
Un nouvel employeur ?
Je suis entré chez Alain Lyon, où j’avais les deuxièmes montes, derrière Maxime Césandri, puis j’ai pas mal « bourlingué », j’ai travaillé pour les meilleurs professionnels locaux. Toutefois, je me suis « exilé » deux ans, dans l’Ouest, chez Florent Monnier. Mais je suis revenu à Lyon…
Et tout à repris comme avant ?
Non. Une fois de retour dans le Centre-Est, j’ai dû enlever 6 ou 7 courses, durant la saison entière. J’ai vraiment ramé, cette année-là, et, je n’ai pas honte de le dire, heureusement que ma femme, Isabelle, travaillait, chez Rhone-Poulenc, à cette époque… Sinon, je ne sais pas comment nous nous en serions sortis…
Votre épouse comprend-t-elle les contraintes du métier ?
Oui. Son père avait des chevaux, chez Patrick Rago, avant que celui-ci ne devienne entraîneur particulier. Isabelle était cavalière, et c’est d’ailleurs sur les hippodromes que nous nous sommes rencontrés. Elle n’a pas disputé beaucoup d’épreuves, mais elle sait de quoi il s’agit et, par ailleurs, elle pourrait sans doute être journaliste à « Paris-Turf ». Elle suit toute l’actualité de très près.
Et comment est venue cette opportunité corse ?
J’étais chez Marc Pimbonnet, et, il y a 5 ans, nous avions un AQPS, Pacha, que j’avais mené à la victoire dans notre région, mais dont le propriétaire était corse. Marc a envoyé Pacha chez un confrère de l’île, Jean-Claude Sarais, qui m’a appelé pour monter le cheval. Pacha et moi avons aligné 14 ou 15 succès, là-bas… Du coup, Jean-Claude Sarais m’a associé à tous ses pensionnaires.
Tout a donc bien démarré, en Corse…
Oui et non. Au milieu de la première saison, mon partenaire, un Anglo-Arabe, s’est dérobé, j’ai continué « tout seul » pour me recevoir dans une barre en bêton. Traumatisme crânien, poumon perforé, j’ai été évacué en hélicoptère. 6 mois d’arrêt. Un an après, presque jour pour jour, toujours en Corse, je suis tombé, avec une double fracture de la cheville à la clef. Encore 6 mois d’arrêt…
L’Association des Jockeys vous a-t-elle bien aidé ?
Plus que cela. Elle s’est occupé de tout. Quand vous avez la « tête dans le sac » et qu’il vous faut remplir tous les papiers administratifs, des assurances et autres organismes, je vous assure que vous êtes content que l’Asso s’en charge pour vous, et bien mieux que vous ne l’auriez fait vous-même. Il ya une quinzaine de jours, encore, et là, il ne s’agit pas de moi, mais de mon frère. Il est tombé en Italie, dans le Grand Steeple-Chase de Mérano, et il s’est « explosé » un genou. La totale, les ligaments arrachés, tout l’intérieur bousillé. Thierry Gillet, le Secrétaire Général, l’a fait rapatrier deux jours plus tard et lui avait réservé une chambre à l’hôpital du Val d’Or, en région parisienne.
Et comment va Stéphane, aujourd’hui ?
Les médecins lui ont fait comprendre que sa carrière était sans doute terminée. Mais, le principal, c’est qu’il retrouve sa jambe… Là encore, l’Asso veille au grain…
Et vous, après ce deuxième accident, vous n’avez pas été découragé ?
Non. Je suis un passionné. Les courses, c’est tout, pour moi. Je l’avais été davantage après mon expérience dans l’Ouest. J’avais même envisagé de ranger, sinon mes bottes, car André Fabre m’avait affirmé qu’il pouvait m’engager comme cavalier d’entraînement, tout au moins « les couleurs ».
Et puis, c’est reparti ?
Pour ma troisième saison, en Corse, j’ai décroché le titre. Je ne dis pas que cela m’a « sauvé », mais, en tout cas, cela m’a donné un coup de fouet… Et puis, il y a eu le deuxième trophée et, depuis dimanche dernier, le troisième, avec 10 points d’avance sur Marc Nobili et Christian Hanotel, mes poursuivants immédiats.
Comment se passent vos « expéditions » ? Vous séjournez-là-bas ?
Non. Je m’y rends tous les dimanches avec réunion. Je me rends en voiture jusqu’à Marseille, où je prends l’avion. Et je rentre le soir même, avec le voyage en sens inverse… Ce n’est pas du tourisme.
Pas moyen de joindre l’agréable à l’utile ?
Rarement, je peux y rester jusqu’au lundi soir. C’est vrai que je me suis bien adapté. Les gens aiment les courses, le jeu, les professionnels sont de plus en plus « pointus », les allocations ne sont pas mauvaises, tout a bien évolué, et puis le climat, l’ambiance. C’est vraiment sympa.
Et chez qui êtes-vous, actuellement ?
J’ai travaillé un bon moment pour Nicolas Bertrand de Balanda mais, depuis un mois et demi, je collabore avec Jacques Héloury, cet ancien jockey de François Mathet. Il s’était installé en Italie, mais, avec le centre d’entraînement qui s’est créé à Lyon, il est revenu en France. Il avait 5 élèves, au début, il en met au point une quinzaine, désormais, deux yearlings viennent d’arriver dans les boxes, l’écurie se développe gentiment, et les résultats sont encourageants.
Finalement, vous n’avez jamais été « premier jockey »…
C’est vrai, j’ai toujours vécu dans l’ombre de quelqu‘un, mais croyez-moi, je ne suis pas aigri, loin de là. Je ne suis pas mécontent de ma carrière. Certes, je regrette de ne plus assez monter, car, avec les délocalisations, beaucoup de « deuxièmes montes » parisiennes deviennent des « premières » en province, mais j’ai connu de belles satisfactions, j’ai gagné un peu partout, même en Suisse, j’en suis à 34 succès en 2010… Je n’ai disputé qu’une épreuve de Groupe, et j’ai fini loin, mais je me suis imposé dans une listed Race, dans de belles courses pour AQPS. Je suis heureux, avec mon métier, ma femme et mes deux filles. Je vis ma passion au quotidien.
De futures cavalières, vos filles ?
La plus grande, Marylène, 17 ans, n’aime pas les courses, mais la petite, Manon, 7 ans, veut devenir jockey…. Je ne suis pas sorti de l’auberge.
Des loisirs ?
Comme tout le monde : nous aimons bien recevoir des amis, notamment certains étrangers au monde hippique, car cela change un peu, et, avec les filles, nous allons assez souvent au cinéma… Par ailleurs, nous avons acheté une maison, il y a un an, un peu à l’écart de Lyon, et j’ai découvert… le jardinage ! J’adore.
A 41 ans, envisagez-vous une reconversion, à plus ou moins long terme ?
Je suis en pleine forme et… je fais jeune ! (rires). J’ai lu l’interview, sur ce site, de mon copain Jean-Michel Breux. Je suis dans le même état d’esprit que lui. La Corse, c’est mon « dada », je suis bien décidé à y conserver mon titre, en 2011. Non, très sincèrement, j’ai ressigné pour 10 ans !