Le jour de ses 44 ans, le 19 novembre 2010, il a annoncé qu’il rangeait ses bottes de jockey d’obstacle. Plus de 400 victoires, dont 49 Groupes (9 Groupes I !), des souvenirs internationaux, quelques sales fractures, et ce moment qu’il sentait venir qui s’est imposé, pour son anniversaire : Adam Kondrat se retourne sur sa carrière, et sur ce métier qui l’a fait tant vibrer.
Vous êtes arrivé de Pologne, non ?
Mes parents ont choisi de quitter leur pays, pour aller mieux, pour une vie meilleure… Ils avaient de la famille en France. Mon père est venu « en éclaireur », en 1973. Il a vécu pratiquement 4 ans tout seul, ici, et a trouvé du travail dans une usine fabriquant des batteries automobiles.
Et vous ?
Nous l’avons rejoint en 1977. Nous habitions à Arras, en face de l’hippodrome. Le « tiercé », à la télé, m’avait déjà séduit, mais j’ai fait la connaissance de M. Poulain, qui entraînait des trotteurs, et je lui rendais de fréquentes visites, sur le champ-de-course.
Le déclic ?
Oui. Pour l’amour de l’animal.
Mais vous avez choisi le galop…
J’étais très léger. M. Poulain m’a orienté vers le galop. Quand je suis entré au Moulin-à-Vent, l’école AFASEC de Gouvieux, en 1980, je pesais 38 kilos pour mes 1 mètre 40… Maintenant, pour être franc, si j’avais connu le métier comme je le connais désormais, je ne sais pas si je me serais lancé dans cette voie. On ne revient pas en arrière.
Vous parliez le français ?
Pas un mot, en arrivant. Mais je commençais à me débrouiller quand j’ai quitté Arras pour Gouvieux. J’avoue que j’ai vécu ce nouveau déménagement comme un deuxième « déracinement ». Nous avions laissé la Pologne, et tous nos liens, là-bas, et, là, je me retrouvais encore loin de mes proches… Pas facile, d’autant que j’étais timide.
Qui a été votre maître d’apprentissage ?
Mick Bartholomew, le frère aîné d’Edouard. Il n’avait pas un gros effectif, mais il a su m’expliquer les bases, m’apprendre au fur et à mesure des galops. Et, quand j’ai été apte à débuter en compétition, il m’a fait confiance.
Vous étiez très prometteur, en plat…
Si vous le dîtes (rires)… Ce n’était pas le même rythme qu’aujourd’hui. J’ai gagné 65 courses en 4 ans… Et si vous ajoutez les 4 autres, en plat, avec des AQPS, une fois que je m’étais reconverti en obstacle, vous voyez que… je n’ai jamais perdu ma décharge !
Rêviez-vous de devenir l’un des meilleurs ?
Comme tous les gosses qui embrassent cette profession. Je me disais que c’était le bon moment, car les Saint-Martin, Freddy Head et autres Guy Guignard ou Alain Lequeux, n’allaient pas tarder à prendre leur retraite. Mais c’était aussi un mauvais moment, car les « mousquetaires » de Patrick Biancone, les Bœuf, Legrix, Mossé et Mongil, sans parler d’Olivier Peslier, sont « sortis »…
C’est pourquoi vous vous êtes tourné vers l’obstacle ?
Non. A 18 ans, j’ai grandi de 10 centimètres et pris 10 kilos en six mois… A l’époque, les Yves Talamo, Claude Ramonet, Serge Prou ou Eric Barelli montaient, comme je l’avais fait aussi, à 44 kilos… J’ai rencontré de gros problèmes de poids, comme, à quelques exceptions près, tous mes confrères. Nous nous battons toujours contre les kilos. Même jusqu’à ce 19 novembre, pour ne pas dépasser les 62 kilos, pour 1 mètre 68, j’ai quotidiennement dû faire très gaffe… Un seul repas par jour, parfois pas manger du tout durant 24 heures, beaucoup de sport, en les variant pour ne pas se lasser, comme le vélo ou le jogging… Changer les régimes, aussi, pour garder l’appétence, des légumes, des plats peu caloriques qui ne se ressemblent pas. Bref, je ne pouvais plus rester en plat…
L’obstacle vous a-t-il plu d’emblée ?
C’est Mick, qui m’a conseillé de partir, car il n’avait que très peu de sujets d’obstacle. J’ai tout de même débuté pour lui, au Croisé-Laroche, avant d’assurer le meeting d’hiver de Pau, et c’est ainsi que je suis entré au service de François Doumen. Mais j’admets que ce n’est pas de gaieté de cœur que je suis passé à l’obstacle, j’étais plus ou moins conquis, mais c’était l’unique porte de sortie pour ne pas abandonner le métier, ce qui était impensable, pour moi. J’avais trop soif de ces sensations que l’on n’éprouve qu’en course.
Vous avez vite réussi dans votre nouvelle « branche »…
François Doumen m’a rapidement « mis en contact » avec des bons chevaux. Je prenais beaucoup de plaisir, et le côté dangereux passait au deuxième plan. C’est chez lui que j’ai connu mes plus grandes joies. Quand j’ai rejoint son équipe, je n’avais pas un seul succès à mon palmarès, et j’étais le troisième « couteau », derrière André Pommier et Guy Le Gland… De fil en, aiguille, je suis devenu « première monte ». François Doumen est un homme de challenge, d’où ses incursions réussies en Angleterre. Il y a remporté 6 « King George », la Gold Cup et plein d’autres épreuves prestigieuses. J’ai été associé à Nupsala, Tivoli, The Fellow, quatre fois à l’arrivée – dont une victoire – de la Gold Cup, et d’autres fabuleux champions, comme Ubu, avec lequel j’ai signé deux « Grande Course de Haies d’Auteuil » et deux « Grande Course de Haies d’Enghien »… De merveilleux souvenirs. Le public anglais est extraordinaire. A l’époque, je me mettais aussi en selle pour tout le monde, j’ai gagné la Grande Course de Haies de Fontainebleau pour Yves de Nicolaye, par exemple, une autre belle course pour Carlos Laffon-Parias, je me suis imposé pour Jean-Paul Gallorini, et même, à Auteuil, avecGalant Moss, pour Martin Pipe… Gagner, c’est le bonheur, et c’est ce qui nous fait avancer, dans ce métier, puisqu’on n’a pas coutume de dire dans ce sport.
Comment le définiriez-vous, ce métier ?
Un métier de plaisir. Mais un métier cruel, qui exige des constants sacrifices, qui limite la vie de famille, qui impose une grosse pression avant les grandes courses, sans évoquer les risques ou les souffrances… Tu finis par te faire un caractère de cochon. Et si tu as des problèmes, si tu broies du noir, on s’en fout : tout ce qu’on te demande, c’est de mettre une jambe de chaque côté du cheval, comme un automate. Nous ne sommes pas considérés comme d’autres sportifs. L’état ne fait rien pour nous et je dirais même qu’il ne pense pas à nous. Comment peut-on imaginer de monter un cheval de course, même à l’entraînement, à 60 ans ? D’abord, vous n’avez « plus de dos », et ensuite, sur ces animaux lancés à pleine vitesse, vous pouvez avoir peur, être pris de vertiges… Alors, la retraite à 62 ans ? Et quand, dans certaines entreprises, on évoque le harcèlement psychologique, on pourrait en parler aussi, dans certaines écuries. Bertrand Delanoé, le Maire de Paris, ne connaît apparemment qu’un seul hippodrome : Auteuil, que l’on ampute pour en faire un parc de loisirs…
Etes-vous aigri ?
Non. Lucide. Les mentalités, à tous les niveaux, ne sont plus les mêmes, les « agents » - je n’en ai jamais eu -, la « rentabilité », la multiplication des résultats, le Chiffre d’Affaires… Ce n’est plus le même truc. J’ai eu la chance d’être le partenaire de cracks, ou de très bons éléments. Si je n’avais piloté que des « cabots », j’aurais jeté l’éponge bien plus tôt.
Vous avez-eu des accidents, aussi…
Comme nous tous, mais je fais partie des privilégiés, j’ai eu une longue activité. Le fémur, un bras, des clavicules et, pour l’anecdote amère, je me suis aussi « plus que bien » retourné un pouce. Contrairement à d’autres sports, comme le football, pour ne citer que lui, nous ne sommes pas pris en charge, si ce n’est par l’Association des Jockeys, bien sûr, et il m’a fallu 3 mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste.
L’Association, justement ?
Il en faut une, évidemment, comme une Association des Entraîneurs, et elle gère bien beaucoup de dossiers, mais les dirigeants « bataillent » énormément pour pas grand-chose, hélas. France Galop ne veut pas payer…
Une sorte de « ras le bol » qui vous a poussé à arrêter ?
Tout un ensemble. Je travaillais beaucoup pour Thomas Trapenard, qui vit sa passion et m’a supporté, et c’est grâce à lui que j’ai continué, depuis un moment. Mais il est aussi très « vendeur » de ces bons sauteurs et ce qui est intéressant et motivant, c’est de monter en se projetant dans l’avenir, de penser aux belles courses que l’on pourra disputer avec tel ou tel poulain. Là, je m’asseyais un peu sur du « tout venant ». Je n’avais pas vraiment prémédité ma décision, je pensais aller jusqu’à la fin de l’année. Disons que j’avais mis un pied à l’extérieur, que cela a été dur de passer l’autre, mais que je l’ai fait, le jour de mes 44 ans. J’ai senti que c’était le moment.
Qu’allez-vous faire, désormais ?
Très sincèrement, je n’en ai aucune idée. Je sais seulement que je ne deviendrai pas entraîneur : je ne veux pas « bouffer la baraque », je n’ai pas les moyens… Je vais profiter de ma famille, ma femme, mes trois enfants, passer les fêtes avec eux, réfléchir, et on verra après l’hiver.
Il me semble que vos filles sont sœurs jumelles…
Ma première femme avait une jumelle, mon épouse, Bérénice, a une jumelle, et nos filles, Jennifer et Clara, 6 ans, sont effectivement jumelles… Seul mon fils, Mickaël, 14 ans, a échappé à la loi des séries…
Votre épouse a-t-elle un lien avec le monde hippique ?
Le hasard fait parfois extraordinairement les choses : elle est la petite-fille de… Mick Bartholomew !
Des passions ?
La chasse, avec Dominique Vincent, et comme l’aimait tant Jean-Yves Beaurain, le jardinage, ma femme, justement, mes enfants…
Un dernier mot ?
Je remange le midi !